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était sorti avec un teint moisi, des lèvres décolorées, des yeux tout clignotants. Criaillant, il rassemblait la compagnie – sa compagnie, maintenant que Cruchet était tué – et réveillait brutalement les dormeurs en les piquant du bout de sa canne.

— Allons, j’ai commandé sac au dos, paresseux, criait-il sous le nez du petit Broucke, qui se relevait, tout vacillant, les yeux encore vagues de sommeil.

En maugréant, on s’équipait.

— C’est tout de même pas lui qu’on va nous coller comme piston, après ce qu’il a foutu… C’est Berthier qui a tout fait…

— Oui, mais il n’a qu’une ficelle.

— Heureusement pour Vieublé qu’il s’est fait évacuer ; ce qu’il en aurait roté !

— C’est celui-là qui a eu le vrai filon, tiens… Si tu l’avais vu se barrer avec sa patte amochée, je te jure qu’il était marrant.

On embarqua. En un instant, tout le monde fut casé, les sacs empilés au fond des camions, et l’on pouvait encore s’asseoir, s’étendre, prendre ses aises.

— Ils auraient dû prévoir, dit en haussant les épaules le conducteur qui nous observait, à genoux sur son siège. Ils ont commandé juste autant de voitures que pour vous amener, et vous n’êtes plus aussi nombreux, pas vrai…

Alors, seulement, on remarqua les places vides. Ce qu’il en manquait !… Je croyais encore voir le grand Lambert, qui se forçait pour rire, le père Hamel, fumant sa pipe dans le coin, et Fouillard, qui s’était assis à l’arrière, les jambes pendantes. À chaque cahot, il disait :