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À gauche, la fusillade brasille encore, mais comme un feu qui va s’éteindre.

Que s’est-il passé depuis midi ? Nous avons tiré, brûlés par le soleil, la tête lourde, la gorge sèche. Enfin, il a plu, et cette pluie d’orage a lavé la fièvre dont nous brûlions tous. Par rafales, l’artillerie balayait la crête, rageant d’y trouver des hommes encore vivants. Puis on croyait voir des Boches s’élancer. Et l’on tirait, on tirait…

Tout près, tombés dans leurs propres fils de fer, des Allemands sont étendus, le corps en boule, et l’on dirait les grains d’un funèbre rosaire. J’en remarque un, sa musette de grenades sur le ventre, qui parfois lève le bras, d’un effort expirant, et bat l’air un instant.

Dans l’ombre qui s’alourdit, le petit bleu râle toujours. C’est effrayant, ce gamin qui ne veut pas mourir.

Est-ce la relève ? Des hommes arrivent, en courant, et vont de trou en trou, le dos courbé.

— Hé ! les gars, ça y est ? On s’en va ? Quel régiment ?

Erreur : ce sont nos agents de liaison.

— Eh bien ? On s’en va ?

— Non… Il faut passer encore la nuit. Les compagnies de renfort vont arriver avec des outils. Il faut s’organiser sur la crête.

Surgis de tous côtés, des hommes se rapprochent, à quatre pattes.

— Quoi ? rester ici ? Sans blague… On n’est plus trente de la compagnie.

— Toujours les mêmes, alors… Je m’en fous, je suis blessé, je les mets…