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sur la figure… Tiens, elle était rouge ! C’était au front, près de la tempe. Penché sur lui, je lui dis :

— Ce n’est rien… Juste une coupure.

Il ne me répondit pas, encore étourdi, et un bon moment demeura immobile. Tout contre lui, Hamel était resté à genoux, la face en terre. Il ne remuait pas, ne soufflait pas, mais Gilbert n’osa pas lui parler, pas même le toucher, pour conserver, une minute encore, l’illusion qu’il n’était pas mort. Puis il demanda à Lemoine, évitant le mot :

— Il y est, hein ?

Simplement, l’autre lui montra un mince filet de sang qui ruisselait du casque et glissait dans le cou. Un de plus… Au fond de l’entonnoir, dix corps au moins étaient entassés. Entre deux capotes sanglantes, sous les cadavres une tête blême apparaissait, les yeux hagards. Mort ou vivant ?

Gilbert ouvrit son paquet de pansement et se banda le front. Avec son mouchoir, il essuya le sang qui coulait le long de sa joue en caresse chaude, puis, pour calmer sa tête brûlante, il la posa sur le canon bien froid de son fusil. Durant une courte accalmie, il entendit sur la droite claquer la fusillade et les grenades. Il pensa confusément : « Ils vont encore attaquer. » Mais il n’eut pas le courage de regarder dans la plaine.

Une nouvelle salve s’abattit, fouillant la terre morte, puis un cent cinq shrapnell éclata juste au-dessus de nous. Gilbert resta un instant ébloui, le cœur arrêté. Puis, d’un coup de reins, il fut debout, sauta sur le bord de l’entonnoir et se sauva. Il allait se cacher dans un autre trou, n’importe où, mais il ne voulait