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et un nuage épais, puant la poudre, remplit le trou. Le corps en boule, nous nous étions jetés les uns contre les autres, chacun cherchant à s’enfoncer sous les jambes emmêlées. Gilbert cachait instinctivement sa tête sous son bras replié, comme un gosse qui a peur. Une pluie de terre retomba… Déjà l’autre salve arrivait, piochant autour de nous, à grands coups furieux, à droite, à gauche. Puis, brusquement, ce fut quelque chose de brutal, on ne sait quoi de terrible, Qu’on croirait jailli de soi-même…

L’obus avait dû éclater sur le bord de l’entonnoir. Deux hommes ne bougeaient plus, glissés au fond du trou. Des blessés affolés se sauvaient, le visage sanglant, les mains rouges. Ceux qui restaient les regardaient à peine, incrustés dans la terre, la tête dans les épaules, attendant le coup suprême. Mais, soudain, le tir s’allongea : ils balayaient à droite. Toutes les têtes se relevèrent. Oh ! l’unique minute de bonheur, quand la mort est allée plus loin !

Gilbert jeta un regard dans la plaine. Les Boches ne sortaient pas ? Non… On ne voyait rien. Après, seulement, il regarda les deux camarades, dont la bouche entr’ouverte semblait parler au ciel.

— On ne peut pas les laisser là, à marcher dessus, proposa Lemoine, mettons-les plutôt devant.

Deux camarades saisirent le premier, s’engluant les mains de sang coagulé, et le hissèrent au bord de l’entonnoir. Gilbert lui tourna le visage vers l’ennemi, pour ne pas le voir. L’autre cadavre étant plus lourd, il dut les aider, maintenant la tête du mort qui ne tenait plus.

— Comme ça, fit Lemoine satisfait, on a déjà un