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sa pauvre main crispée, jaune et boueuse, et il évita le regard éteint de ses yeux blancs.

— Il en faudrait encore trois, quatre comme ça, fit Lemoine. Ça nous ferait un bon parapet, avec un peu de terre dessus.

Il y a un instant, le pauvre gars courait avec nous, les yeux rivés, fixes d’angoisse, sur la tranchée allemande d’où jaillissaient les flammes courtes et droites des mausers. Puis, des rafales d’obus avaient troué la compagnie, les mitrailleuses avaient fauché des rangées d’hommes, et, de la masse frémissante qui chargeait, tragique, silencieuse, il ne restait que ces vingt hommes blottis, ces blessés qui se traînaient, geignant, et tous ces morts…

Gilbert, entre deux explosions, avait entendu le camarade s’écrier : « Ah ! c’est fini ! » Le blessé s’était encore traîné quelques mètres, comme une bête écrasée, et il était mort, là, dans un sanglot. Était-ce triste ? À peine… Dans ce champ pauvre aux airs de terrain vague, cela faisait un cadavre de plus, un autre dormeur bleu qu’on enterrerait après l’attaque, si l’on pouvait. À quelques pas, sous un tertre crayeux, des Allemands étaient enfouis : leur croix servirait pour les nôtres, un calot gris sur une branche, un calot bleu sur l’autre.

— Alors, qu’est-ce qu’on va foutre ? demanda Hamel, dont la manche déchirée laissait couler un peu de sang. Tu ne vois pas, qu’ils nous laissent en rade ?

— Mais non, dit Gilbert. Le deuxième bâton va certainement sortir, mais on doit attendre que l’artillerie prépare.