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ne bougeait plus. Couché sur le côté, le visage violacé, il avait le cou béant égorgé comme on égorge les bêtes.

La puante fumée masquait le chemin, mais on ne voulait rien voir : on écoutait, effaré. Piochant autour de nous, les obus nous giflaient de pierraille et nous restions tassés dans notre ornière, deux vivants et un mort.

Brusquement, sans raison, le feu cessa. Des gros obus tombaient, encore sur les ruines, soulevant des geysers noirs, mais c’était plus loin, c’était pour d’autres. Dans nos têtes ébranlées, cet instant de paix fut auguste. Je me retournai et, au pied du talus, je vis Berthier penché sur un corps étendu. Qui ?

Tout le long du chemin, les camarades se redressaient : « Les grenadiers ! » appelait une voix.

Puis, venant de la droite, un ordre parvint, crié de trou en trou :

— Le colonel demande qui commande à gauche… Faites passer…

— Faites passer… Le colonel demande qui commande à gauche.

Je vis Berthier reposer doucement sur l’herbe la tête du mort. Il se releva, livide, et il cria :

— Sous-lieutenant Berthier, de la troisième… Faites passer…



Le tirant par sa capote, Gilbert traîna le cadavre jusqu’au bord du large entonnoir où nous nous étions jetés. Depuis longtemps, les morts ne lui faisaient plus peur. Pourtant, il n’osa pas le prendre par la main,