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mangé la soupe dans l’écurie, accroupis sur la paille, d’autres juchés, jambes pendantes, sur les mangeoires.

Les anciens racontaient des histoires compliquées et brutales avec des « et pis alors » et des « tu t’rappelles », nécessaires à la belle ordonnance d’un récit. Mais les nouveaux, qu’ils voulaient épater, n’écoutaient plus : ils dormaient à moitié, l’œil vague et le menton bas.

— Il est l’heure de se coucher, les gars, dit Bréval en délaçant ses chaussures. Les copains ont passé la nuit en chemin de fer.

Chacun passa à sa place avec la docilité des chevaux qui connaissent leur coin. Lemoine hésitait à fouler ce beau tapis de paille fraiche.

— C’est pas malheureux… Du blé qu’a pas été battu…

Soigneusement, comme il faisait toute chose, le petit Belin préparait son lit. Il étendait d’abord sa toile de tente, puis, en guise d’oreiller, il enfonçait sa musette sous la paille. Pour avoir chaud aux pieds, il les glissait dans les manches de sa veste, puis il s’enroulait dans sa large couverture pliée en deux et adroitement, comme un pêcheur lance l’épervier, il jetait sa capote sur ses jambes. Alors on ne voyait plus qu’un petit coin de figure satisfaite, par la lucarne du passe-montagne tricoté : Belin était couché.

Demachy l’avait regardé faire, mais pas avec la même admiration que moi : avec effroi plutôt. Puis il regarda les autres se préparer avec stupeur, une sorte de terreur grandissante. Au troisième qui commença à se déchausser, il se redressa sur son coin de paille.