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— Ne me touchez pas, ne me touchez pas… répétait le blessé livide, tout en avançant dans le boyau.

Ses bras broyés pendaient comme deux nattes rouges. Arrivé près de nous, il dit de la même voix blanche où ne frémissait même plus la souffrance :

— Je veux m’asseoir, prenez-moi par ma capote.

En le soutenant par le col, on le posa sur la banquette de tir, le buste raide, ses deux bras de bouillie sanglante ne tenant plus que par les manches lacérées. Son nez était mince, pincé, comme si déjà la mort avait cherché à l’étouffer.

— Tu devrais te dépêcher d’aller au poste de secours, lui dit Lemoine, voyant couler les deux rigoles de sang.

— Oui, j’y vais… Allumez-moi une cigarette. Mettez-la moi dans la bouche.

On le releva, il fit merci de la tête, et il repartit d’un pas mécanique, un camarade le précédant pour faire écarter les soldats massés.

— Laissez passer, un blessé…

La compagnie entière était entassée là, grand bouclier vivant de casques rapprochés, devant quatre échelles grossières. La couverture roulée, pas de sac, l’outil au côté : « Tenue de gala », avait blagué Gilbert.

À notre droite, empilée dans la même parallèle, une compagnie d’un régiment de jeunes classes venait de mettre baïonnette au canon ; ils devaient sortir