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secouant… Entrons ici, tiens, ils ont l’air de s’amuser.

Nous poussâmes la porte du café et, dès l’entrée, j’aperçus Bouffioux et Fouillard attablés devant des litres vides. Une cuite les avait réconciliés : le cuisinier apoplectique, les yeux brillants, l’autre blafard, le regard vitreux. Ils avaient joué tournée sur tournée, puis – une idée d’ivrogne – Fouillard avait proposé en toussotant de rire :

— Je te joue ma croix, en cinq secs… J’en ai vu de baths chez le menuisier, avec une plaque, comme pour un officier…

Bouffioux avait accepté ; il avait perdu. Il avait demandé sa revanche : la croix pour un copain de l’escouade. Il avait encore perdu.

— Il faut être saoul, tout de même… avaient grogné des camarades. On ne blague pas avec ça… Allez faire vos co… dehors…

Eux, fanfarons, s’étaient remis à boire : la tournée du gagnant, puis « le dernier », puis « le der des der » et maintenant, gavés à en rester bouche bée, les jambes molles, ils restaient avachis, le menton sur la table, n’ayant même plus la force de boire ni de gueuler.

— J’t’ai gagné, répétait stupidement Fouillard.

Et l’autre faisait « oui », d’une tête alourdie.

— Ne restons pas ici, venez, nous dit brusquement Lambert.

Et nous sortîmes.


Toute la journée j’ai pensé malgré moi à leur enjeu d’ivrogne. Maintenant, couché sous la tente, j’y songe encore… Le bombardement s’est apaisé, mais le vent