Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas à l’une de ces bousculades tragiques, à l’un de ces déménagements burlesques qu’avaient été les attaques précédentes.

Au bout du village, derrière un petit bois, la lourde tirait par salves précipitées, sans rien voir de la guerre, qu’un rideau vert de noisetiers. Comme il faisait chaud, les servants avaient retiré leur veste pour être à l’aise et, luisants de sueur, ils enfournaient leurs obus comme du pain.

— Jamais on n’a autant tiré, nous dit un brigadier de l’échelon. Chaque pièce n’a pas vingt mètres à battre ; il ne peut rien rester, rien…

Dans un seau d’eau, près d’une pyramide de douilles dorées – des bouteilles étaient au frais. Entre deux tirs, les artilleurs en corps de chemise venaient boire un coup, puis, s’étant épongé le front d’un revers de main, ils reprenaient leur infernale partie de boules.

Sur la route, ou couchés le long du talus, des cavaliers flânochaient, laissant leurs chevaux arracher par lambeaux l’écorce des arbres. On les regardait d’abord de travers, jaloux de leur poste meilleur, de leurs vestes trop propres, et surtout des bonjours que, de loin, leur adressaient les filles, mais on ne leur lançait pas les blagues ordinaires : personne ne leur demandait, avec un air de se payer leur tête : « Tu sais où que ça se trouve, les tranchées ? » Bientôt, au contraire, on parlait en copains. Ils nous disaient :

— C’est nous, l’armée de poursuite… Une fois que vous aurez fait la brèche, on charge et on va attaquer leurs réserves.

Derrière nous, toute une armée attendait : des autos