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Et se retournant vers un vieux sergent que je n’avais pas remarqué et qui se tenait debout derrière lui, il ajoutait, le front plissé :

— J’en connais qui n’en auront pas besoin, de couteau… Ce sont des malins qui savent faire la guerre, ceux-là…

Le vieux ne répondait pas. Il avait une barbe blanche, et les copains qui le dévisageaient se demandaient tout haut ce qu’il venait faire là.

— Ce qu’il vient faire, nous expliqua Lambert, il vient prendre ma place, tout bonnement. Oui, mes gars, je suis relevé, et versé à la troisième comme chef de section : c’est le vieux pèlerin qui me remplace…

— Mais qui c’est ?…

— C’est une vieille noix qui a eu ses deux fils tués, s’emportait le fourrier. Alors, il s’est engagé… Bien entendu, quand le colon a vu débarquer ce vieux zèbre-là, il n’a pas voulu le foutre dans la tranchée et il l’a nommé à ma place, sans s’en faire… Est-ce que c’est pas honteux, hein ?… Moi, je m’en fous de ses deux fils ! C’est pas à moi de les venger. J’en ai assez bavé, pendant un an que j’ai pris les tranchées. S’il s’en ressentait pour se battre, il n’avait qu’à y aller lui-même, au lieu de me prendre mon filon et de m’envoyer me faire casser la gueule pour lui… Seulement ça fait bien, pas vrai, engagé à son âge. Vieille bille !

Le vieux, à l’écart, ne disait rien, l’air absent, avec un regard triste et lointain qui, malgré tout, me serrait le cœur.

— Allons, la septième, appelait Lambert, dépêchez-