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Et, s’étant retourné vers Demachy, il ajouta tout bas :

— Les pauvres gars, j’ai peur pour eux…

Sans le lieutenant qui allait en tête d’un bon pas, nous aurions peut-être couru. On avait peur de ce Calvaire blafard, que les fusées parfois mettaient à nu. Peur de ce danger qu’on sentait derrière soi, tout près encore.

On glissa dans le chemin crayeux, on traversa vite la passerelle sur le ruisseau, et, là seulement, on osa se retourner. Le Calvaire se détachait, terrible, sur la nuit verte, avec ses moignons d’arbres, pareils à des montants de croix.



On cassa la croûte à la sortie des tranchées. Les cuistots avaient fait du jus et l’on mangeait voracement, ne sentant plus, à l’estomac, ces doigts crispés qui vous serraient. On buvait du vin à pleins quarts : il fallait vider les seaux avant de repartir. Vantard, Sulphart racontait des histoires à ceux de la compagnie :

— Et comment qu’on les a engueulés, les Boches, avec le gars Vieublé !

Chaque homme de l’escouade avait son groupe et palabrait. Vieublé, dont la voix paresseuse et grasseyante de gouape se remarquait parmi les autres, racontait sa patrouille :

— Tu parles, si ça a gueulé… Je m’étais levé, je tenais un pieu de leur réseau de la main gauche et v’lan ! en plein dedans… J’ai même pas reçu un coup