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cognait. Oh ! ce qu’on put l’aimer, un instant, cette horrible pioche ! Elle creusait. C’était la grâce. On ne bourrait pas encore la mine, on ne mourait pas encore…

Vieublé s’était dégagé de l’angoisse, d’un coup de collier. Blême de rage, il bondit dehors en braillant.

— Il est fou, s’écria Bréval. Qu’est-ce qu’il fait ?

On courut après lui. Il avait grimpé sur des sacs à terre, et, sorti de la tranchée jusqu’au ventre, le cou tendu, il hurlait :

— Vous pouvez creuser, tas de vaches, on vous em… On sautera peut-être tous, mais on vous em…

Sulphart l’avait pris à bras-le-corps.

— Vas-tu te taire, grand c…

Bréval aussi le tirait par le bras, mais l’autre résistait.

— Faut que j’en butte un avant de sauter… Je veux pas crever comme une lope, rugissait-il, il m’en faut un !…

On put pourtant le faire descendre et le rentrer dans la sape, où il se calma, en buvant le vieux marc de Demachy.

— C’est du bon, fit-il en connaisseur.

Toc… Toc… Toc… Elle creusait toujours… Toc, toc… Puis elle s’arrêtait. Nous écoutions alors, plus angoissés. Non. Toc… Toc… Toc…


Cela dura deux jours encore, et une nuit. Quarante heures que l’on comptait, qu’on arrachait, par lambeaux de minutes. Deux jours et une nuit à écouter, la bouche sèche de fièvre. Le dernier soir, on ne put retenir Vieublé : il partit avec quatre grenades dans sa musette, et, au bout d’une heure quatre aboiements