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— Ah ! on est bien, soupira Bréval en s’étirant… Pourvu que les Boches nous foutent la paix…

— Dans le fond, c’est bien ce que j’avais dit, fit Maroux, qui couchait de l’autre côté de la galerie. De loin, avec ce qui dégringole, on se fait des idées, et quand on y est, c’est pas pire qu’ailleurs.

À tout moment, pourtant, un coup sourd ébranlait la butte et la détonation entrait, avec un coup de vent, dans notre grotte dont les bougies tremblaient. Cela tombait parfois sur l’autre versant du Calvaire, devant l’entrée de notre sape, et l’on voyait flamber l’éclair sur la toile de tente.

— Trop long, disait Lemoine, rassuré par les quatre mètres de terre que nous avions au-dessus de nous.

Broucke ronflait plus que d’ordinaire, pour ne pas entendre les obus, et Bréval lisait son journal, loin de la guerre.

— Tas de dégoûtantes, grommela-t-il… Encore des femmes qu’on a arrêtées, au camp des Anglais. Et pas des catins, tu peux en être sûr : des femmes mariées… On m’a dit comme ça qu’on affichait leur nom à la mairie. Tu parles d’un coup pour leur mari, quand il apprendra ça…

Il lut encore quelques lignes, puis coléreusement froissa son journal, le jeta et se tourna contre le mur de craie humide en me disant : « Tu souffleras. »

À grands coups sourds, têtue, l’artillerie s’acharnait sur le Calvaire, tout en haut du Calvaire, là où auraient dû se dresser les trois croix. Entre deux explosions, on n’entendait rien, que parfois un pas d’homme trébuchant sur les cailloux, ou des coups de feu égarés, lubie de sentinelle.