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L’artillerie peut s’acharner sur un pays, il restera toujours quelque chose : un pan de mur avec son papier à fleurs et deux photographies au cadre noir en pendant ; une porte de chambre fraîchement peinte qui coquette au milieu des moellons pilés, une cheminée de marbre restée là-haut, en équilibre sur trois lames de parquet.

Avec ces débris, Demachy imaginait le pays vivant. Ce n’était ni un village, ni un bourg de campagne : un petit coin de plaisance, plutôt, une villégiature paisible où les boutiquiers de la ville devaient se retirer, à la soixantaine, pour bouturer des roses et pêcher à la ligne. Pas de fermes, des villas qu’on reconnaissait malgré tout aux trois marches de grès d’un perron, à un bout de façade rose, dont les éclats avaient griffé la peinture.

Il suivait en trébuchant la grande rue bordée de boutiques dévastées et de vestiges de maisons. Sous les ruines, montant des escaliers des caves, on entendait des voix, des rires, le hennissement d’un cheval, le grincement d’un violon.

Derrière les pans de mur, des cuistots accroupis essayaient de faire du feu sans fumée et tournaient simplement la tête, en curieux, quand un obus s’annonçait en froissant l’air. On peut bien risquer quelque chose, quand on veut des frites.

— Le Café de la Marine ? leur cria Demachy.

— Plus bas, à gauche.

Il repartit en se pressant, car un gros noir venait de tomber tout près, dans les ruines, arrachant une gerbe de gravats et de fumée. Il espérait trouver l’enseigne encore vivante sur un bout de façade, mais