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nous écouter, timidement, comme s’il craignait qu’on ne le rabroue.

Sa femme dit qu’il est malade. Pourtant il ne se plaint pas. Il a bougonné qu’il ne voulait pas voir le major, et il se soigne à sa façon, avec de pleins bols de tisane.

Que peut-il avoir ? J’y pense souvent. Sans doute, ses traits tirés, la fièvre dont il frissonne chaque soir, montrent qu’il est malade, mais cette raison ne me suffit pas. Il me semble qu’il doit y avoir autre chose sous cet accablement ; ce n’est pas seulement un malaise qui peut le voûter ainsi et le tenir des jours entiers devant son feu, taciturne. Il ne paraît pas souffrir. Il réfléchit, c’est tout.

— C’est un homme qui se mine, a diagnostiqué Maroux, qui autrefois sortait avec lui, pour lui raconter ses histoires de chasse.

On dirait en effet qu’un chagrin le tourmente. Les nouvelles de son fils sont toujours bonnes, pourtant. À quoi peut-il penser, pendant ces longues siestes ? Il ne sort plus, même à la nuit, pour fumer sa pipe. L’autre soir pourtant, il s’est levé, a pris sa blague, et s’est dirigé vers la porte du courtil, d’un pas traînant. Il a ouvert et s’est arrêté sur le seuil, regardant le champ noir où se hélaient des hommes. Est-ce le vent froid, est-ce l’ombre, je l’ai vu frissonner. Brutalement, il a refermé la porte et est revenu s’asseoir à sa place, devant le poêle. Il n’a pas fumé, ce soir-là.

Quel souci cache-t-il donc ? On ne l’ennuie pas plus qu’avant l’attaque au contraire. On lui a même proposé plusieurs fois des laissez-passer dont il n’a pas voulu.