Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Monpoix est assoupi dans un coin. C’est une heure chaude et tranquille de bon repos. On est bien. Je m’étire paresseusement, comme un chien qui se chauffe et je m’assieds contre le lit, un bras sur le dossier, un bras sur le matelas. On se sent à l’abri de tout, dans ces aîtres familiers, mieux que dans une sape profonde. Il suffit de tirer les gros rideaux et d’allumer la lampe pour se sentir chez soi et ne plus rien craindre. Par prudence, on met encore une toile de tente devant la fenêtre. La nuit n’aura rien de notre chaleur, pas un fil de notre lumière.

On est chez soi, loin du danger, loin de la guerre. Les énormes rondins des gourbis craignent l’obus et s’arc-boutent ; ici, c’est un joli mur tendu de papier rose, qui nous protège. On a confiance. Mieux que par tous les parapets on se sent défendu par cette lumière qui vous semble si belle après la lueur jaune et dansante des bougies, on se sent défendu par le feu qui ronfle, par la marmite qui fume, par tout cet humble bonheur – et même par cette odeur provocante d’oignons, tout pareils à de petits fruits blancs, dans une assiette.



Un vrai dîner de famille, de ces dîners d’hiver, plus intimes, plus cordiaux que les autres, où le bonheur frileux vient se blottir près du feu.

Sommes-nous des soldats ? À peine, on l’oublie. Il y a bien la vareuse de Berthier, une ou deux vestes bleues, mais les autres sont en chandail, en gilet, sans