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blondes, le beau pain des civils, après la Marne. Ah ! c’est bon, le pain chaud…

Dans les maisons, on entend chanter. Sur la place, on discute, on rigole.

La guerre est finie pour nous, finie pour cinq jours. L’attaque, les morts, c’est oublié ; on s’en souvient juste pour parler entre copains, se dire avec une joie sourde : « On s’en est tiré, hein ! » Dans cinq jours, c’est vrai, il faudra remonter aux tranchées, au Redan ou à gauche du ruisseau, mais personne n’y pense. Il n’y a que le présent, le jour même qui compte – le seul qu’on soit certain de vivre. Sans y prêter attention, comme l’oreille s’habitue à un tic tac d’horloge, on entend le canon. Quand ce sont les 75 de la gare qui tirent, on dirait que leur miaulement traverse la place.

— Tu vas voir qu’à force de jouer au co…, ils vont finir par gagner, dit Lemoine qui n’aime pas les artilleurs. Les Boches nous foutent la paix, il faut qu’ils les emm… Total : ils bombardent le patelin et c’est nous qui serons encore verts.

Les Allemands bombardent souvent, et la mairie, toute neuve, avec son clocheton d’ardoise, leur sert de cible. Des maisons, crevées jusqu’à la cave, laissent voir leur pauvre cœur mis à nu et leur toiture sans tuiles s’ouvre sur le ciel, comme une porte à claire-voie. De grands trous chaotiques sont creusés où se trouvaient des granges ; au fond de la cuvette, l’obus a pilé des pierres, des solives et des débris calcinés d’on ne sait quoi. Avec toutes ces ruines, les territoriaux font, sans trop se presser, des petits tas, et les gamins viennent y chercher des lattes de plafond, pour se