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à la pâte au sabre pour qu’elles reluisent mieux, tu crois qu’on devrait pas tous les fusiller… Ils trouvent qu’on ne se fait pas assez viser comme ça ?… Tu me refileras ta musette, tiens, j’te la noircirai au bouchon, et on passera vos bouteillons, vos galetouses et tout l’truc à la fumée de paille, y a pas meilleur.

Lemoine, qui ne quittait jamais Sulphart d’un pas, haussa lentement les épaules.

— Tu vas pas déjà abrutir ces mecs-là avec tes boniments à la graisse, lui reprocha-t-il de sa voix traînante. Laisse-les au moins débarquer.

Le nouveau à la musette blanche s’était assis sur une brouette. Il semblait épuisé. La sueur, en rigoles noires, avait tracé des accolades de ses tempes au bas de ses joues. Il déroula ses molletières, mais n’osa pas retirer ses chaussures, de beaux brodequins de chasse aux semelles débordantes.

— J’ai le talon tout écorché, me dit-il. Je dois avoir le pied en sang. Je suis tellement chargé.

Lemoine soupesa son sac.

— Ce qu’il est lourd, fit-il. Qu’est-ce que tu as pu foutre là-dedans… Tu y as mis des pavés ?

— Juste ce qu’on m’avait dit.

— C’est les cartouches qui pèsent, intervint le caporal… Ils vous en ont donné combien ?

— Deux cent cinquante… Mais je ne les ai pas dans mon sac.

— Où ça alors ?

— Dans ma musette. Vous comprenez, j’aime mieux ça. Si tout d’un coup on était attaqués.

— Attaqués ?

Les autres le regardèrent, étonnés. Puis, tous