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mégères, pour l’obliger à retirer son drapeau « qui allait faire mettre le pays à feu et à sang ».

La petite lui avait tenu tête un moment.

— Vous n’êtes pas le maire, vous n’êtes rien. Je n’ai pas d’ordres à recevoir de vous.

— Ordre ou pas ordre, vous ferez comme tout le monde, s’étranglait l’épicier, qui se voyait déjà fusillé à son comptoir. C’est moi qui l’ordonne.

— Au nom de qui ?

— J’m’en fous, au nom du roi de Prusse si vous voulez !

Bégayant, apoplectique, les yeux prêts à rouler, le mercanti cognait furieusement le bureau de l’institutrice de son poing massif. Elle avait dû céder.

Terrorisés, les uns cachés dans leur maison, les autres groupés muets sur le bord de la route, les paysans avaient regardé passer les premiers bataillons bavarois qui braillaient joyeusement : « Paris ! Paris ! » comme s’ils avaient dû, le lendemain, le mettre à sac. C’était une automobile qui était arrivée d’abord, pleine de soldats armés. Les gamins gambadaient autour, en faisant des grimaces.

— Allez-vous arrêter, maudits garnements ! leur criait une vieille, la doyenne du pays ; ils vont croire que vous vous moquez d’eux.

Et elle faisait de si grands saluts que les longs rubans noirs de son bonnet des dimanches traînaient par terre.

Les Allemands riaient, et jetaient aux enfants des poignées de bonbons, qu’ils avaient volés dans Reims. Pendant cinq jours, le pays avait été plein de Bavarois et de Prussiens. Ils avaient emmené trois otages qu’on