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VI
LE MOULIN SANS AILES


J’ai retrouvé la ferme telle que nous l’avions laissée dimanche, avant l’attaque. On croirait que les quatre compagnies viennent à peine de franchir l’herbage, montant aux tranchées, et le gros chien qui gambade semble courir après un traînard. Rien n’a bougé.

C’est là, par ce chemin de boue gercée, que nous sommes partis. Combien sont revenus ? Oh ! non, ne comptons pas…

Je rentre dans la grande salle, tout embaumée de soupe, et m’assieds près de la fenêtre, sur ma chaise. Voici mon bol, mes sabots, mon petit flacon d’encre. Cela semble si bon de retrouver ces choses à soi, ces riens amis qu’on aurait pu ne jamais revoir.

Mon bonheur m’attendait ; la vie continue, avec de nouveaux délais d’espoir. Une sorte d’âpre joie sourd en mon cœur. Je vois le soleil, moi, j’entends l’eau qui chante, moi ; et mon cœur est tranquille, lui qui a tant battu.