Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ne tirez pas, bon Dieu ! crie le sergent Berthier qui est sorti de son gourbi. C’est la patrouille qui rentre.

Au même instant j’entends dans les ténèbres une voix qui grelotte. On dirait qu’on chante… Mais oui, c’est une chanson :

Je veux revoir ma Normandie…

Derrière moi, Fouillard rit. Et je ris aussi malgré moi, le cœur serré. C’est tragique et burlesque cette romance bredouillée dans le noir. La voix se rapproche et cesse de chanter :

— Ne tirez pas… Verneau, de la quatrième… Patrouille.

Mais un autre, plus loin, a repris le refrain, d’une voix étouffée :

ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour…

Plus loin encore, on en entend un troisième qui siffle, perdu dans les champs d’ombre :

En avant la Normandie !

Partout, dans les champs noirs, on entend les voix assourdies qui fredonnent et des sifflotements peureux, au ras des champs. C’est comme un retour de foire, saisissant et bouffon. Pour se garder d’une ruse des Allemands, qui peuvent avoir surpris le mot, on a ordonné aux patrouilles de chanter des airs du pays, pour se faire reconnaître. Et rampant dans les bette-