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Les sourcils froncés, il examinait longuement le mince ruban de marne blanche, il ne répondait pas grand’chose dans un langage mystérieux et les camarades étaient rassurés. Pourtant, à plusieurs reprises, la nuit, je le vis se coucher à plat ventre, l’oreille collée au sol comme un Peau-Rouge traqué, pour écouter s’il n’y avait pas de Boches dehors, et cela me surprit un peu. Un soir, il partit en patrouille ; ils étaient cinq ou six qui devaient battre la plaine entre les lignes, sans but bien défini. Ils s’enfoncèrent dans la nuit, tournèrent, se tapirent dans des trous, la lune ayant éclaté comme une immense fusée, repartirent à l’aveuglette et se retrouvèrent blottis dans une sorte de boqueteau déchiqueté, ne sachant plus où ils étaient. Plus une fusée pour les guider, pas un coup de feu, rien que du noir. Ils étaient perdus, à trois cents mètres de nos lignes, dont la nuit épaisse les séparait mieux que des lieues.

À voix étouffée, ils se disputaient :

— C’est par ici… Non, c’est par là… Je te dis que je reconnais les peupliers de la route…

Soudain, ils aperçurent à l’écart Maroux, à quatre pattes, qui inspectait le pied d’un arbre.

— Qu’est-ce que tu fous là ? lui demanda Lousteau ébahi.

— Je cherche la mousse, répondit l’autre, imperturbable, ça pousse au nord.

Découvrit-il de la mousse sur ces déchets de bois ? C’est peu croyable, mais se relevant brusquement, il désigna un coin de l’horizon d’un doigt formel :