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UN DÉBROUILLARD


On nous avait arrêtés là pour la grand’halte. Ce vaste champ, au chaume rude comme une barbe de huit jours, avait dû être spécialement aménagé pour y recevoir des troupes ; il était en effet absolument impossible d’y trouver ni eau, ni bois, ni ombre, ni vin. C’était là que nous devions faire la soupe, trente kilomètres dans les jambes, montant vers Reims où nous allions prendre les tranchées.

La poussière crayeuse de la route nous avait plâtré la bouche et il ne restait rien dans les bidons, pas une goutte. La corvée d’eau était partie dans une direction hypothétique, conduite au petit bonheur par un caporal fataliste, et comme le plus optimiste n’osait pas envisager son retour, les camarades de l’escouade, fourbus, brûlants, s’étaient couchés face au ciel, un mouchoir sur la figure, attendant que le feu s’allumât tout seul et que la boisson jaillît de terre.

Le cuisinier, abandonné de tous, hurlait « qu’il s’en foutait, qu’on irait becqueter avec les chevaux de bois », et son plat sale à la main, il dispersait rageusement du godillot les maigres brindilles qu’il avait amassées entre deux pierres.

Seul, un nouveau du dernier renfort, un grand