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dans toute la mesure compatible avec la claire intelligence du sens : le vers est donc un verbe musical qui soulève et soutient la pensée sur les ailes du rythme, mais en excluant la note pour ne pas s’identifier au chant, où l’expression intellectuelle est détrônée par l’expression émotionnelle.
On voit assez, par là, ce qui distingue les vers de la musique. On voit moins bien, peut-être, ce qui les distingue de la prose ; car, enfin, la prose aussi peut être soulevée et soutenue par un rythme, c’est-à-dire par une succession de cadences flatteuses à l’oreille et qui ajoutent un plaisir musical au plaisir de l’entendement. Plus un écrivain véritable a de choses émues ou élevées à nous dire, plus sa phrase tend à se rythmer, à se dérouler avec mélodie. Soit, mais elle se déroule — et cela en est le caractère essentiel — en rythmes inégaux et perpétuellement variables, qui procurent à l’oreille un seul plaisir : celui d’une surprise incessamment renouvelée.
Certes, ce plaisir musical, dans sa parfaite concordance avec le développement de la pensée, est déjà considérable; il n’est pourtant pas la jouissance la plus musicale possible que puisse donner le langage, celle que vous annonçait la définition de tout à l’heure comme étant le privilège de la seule forme versifiée. La versification seule, en effet, dans tous les pays du monde, et depuis qu’il y a des poètes, peut donner, à l’esprit et à l’oreille, cette double jouissance : la surprise dans la sécurité, jouissance causée elle-même par la réalisation de la variété dans l’unité, de la liberté dans la discipline. Et comment cela ? En soumettant le langage, ainsi que fait la musique, non plus à des rythmes incessamment variables, mais à des rythmes