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cuns poètes du monde les miroirs de l’homme universel et les annonciateurs de l’humanité future.
Or, quel culte leur vouons-nous? Hélas !...
Il n’est pas d’humble « fraülein » qui, en quittant l’Allemagne pour aller servir, n’emporte dans sa malle l'Hermann et Dorothée de Gœthe, ou les poésies de Schiller. Il n’est presque pas de maison anglaise où il n’y ait un Shakespeare ; et plus d’une pauvre « miss », venue en France pour élever nos enfants, rouvre chaque soir son Tennyson, et, par les Idylles du Roi ou la Princesse, reste en communication consolante avec l’âme de sa patrie, et avec un peu d’idéal.
Connaissons-nous bien, nous qui avons étudié, qui sommes des savants presque, tout ce que renferme de consolation et de joie, d’héroïsme et d’amour, le trésor de Corneille et de Racine, d’André Chénier, de Lamartine et de Victor Hugo, sans vouloir parler des vivants ? Dans combien de bibliothèques bourgeoises ne chercherait-on pas en vain un Alfred de Musset, un Leconte de Lisle, un Sully Prudhomme? Il est des villes entières où l’on ne trouverait pas un seul volume des poètes modernes, à côté des vieux classiques jamais rouverts depuis le collège... Quant au peuple, il ne sait même pas les noms des uns ni des autres !
Et pourtant, on lit... Mais que lit-on, pour que l’obscénité monte, pour que la haine grandisse, pour que la volonté se dissolve, pour que la notion de l’amour se déprave, pour que le sens du bien et du mal aille en s’émoussant?
Nul recours que dans les poètes, en qui, pendant des siècles, se sont concentrées les tendresses, les puretés, les énergies, les espérances de notre race, avec le