Page:Dorchain - L’Art des vers, 1921.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

sa morne détresse de tout à l’heure. Et quand il sera devenu un homme, — et ici je ne parle plus de moi, mais de vous peut-être, — quand il se demandera comment il a échappé à certaines souillures, protégé contre les vents mauvais la pure flamme de l’amour, élevé dans son coeur un autel à la pitié, gardé l’espérance, évité un peu de mal, fait un peu de bien, il vous dira qu’il le doit surtout aux poètes. Les autres enseignent, mais l’oreille peut les entendre sans que l’esprit les écoute et que le cœur les croie : eux, les poètes, par le magique pouvoir du rythme, ils appellent, ils retiennent, ils insinuent, ils pénètrent. Comme une religion par le moyen des mythes, la Poésie prend des idées et les transforme en sentiments par le moyen des images, lesquelles sont des actions commencées, comme les actions sont des images réalisées ; car, entre l’idée pure et l’action, il y a un abîme que l’ébranlement de la sensibilité peut combler seul. Et c’est pourquoi la Poésie, souveraine maîtresse des images, est, pour ceux qui la comprennent et qui l’aiment, la souveraine maîtresse de la vie intérieure, prête à se réaliser en actes.

Les anciens le connaissaient bien, le pouvoir éducatif et comme religieux de la Poésie. Rappelez-vous ce que dit Platon au troisième livre de sa République, où, selon l’habitude des Grecs, il appelle « musique » la réunion de tous les arts du rythme : poésie, musique et danse : « La musique est la partie principale de l’éducation, parce que le nombre et l’harmonie s’introduisant de bonne heure dans l’âme du jeune homme, s’en emparant, y font entrer à leur suite la grâce, la beauté et la vertu. Et cela, dès l’âge le plus tendre, avant que d’être éclairé des lumières de la