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bien simple, que je n’ai pu transcrire sans que de chers souvenirs me remontassent au coeur, c’est celui-ci :

Chargez-en des entants la mémoire fragile !

Et ce qu’il me rappelle, c’est l’éveil en moi du sens poétique, c’est la révélation de la Poésie telle qu’elle me fut faite, en mon plus jeune âge, sur les genoux maternels. Et j’ai tant dû à cette initiation première qu’en essayant d’initier autrui à tout ce que contient le langage des vers, il me semblera que c’est une dette que je paye. Oh ! le « Petit oreiller » de la tendre Marceline Desbordes-Valmore !...

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et blanc, et fait pour moi,
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi !...

Que de fois il fallut que ma mère me les répétât, ces doux vers, jusqu’à la prière finale :

Donne à l’enfant perdu, que sa mère abandonne,
Un petit oreiller qui le fera dormir !

Et lorsque je les sus par coeur, ce me fut encore une récompense que de les lui entendre redire, si j’avais été sage. Et ce fut la clé d’or qui m’ouvrit à jamais la porte des rêves. A présent, Corneille peut venir, avec le Cid, soulever d’enthousiasme héroïque le petit collégien qui pleurait de tristesse derrière les barreaux de sa prison. Et vous pourrez lui donner bientôt les Méditations de Lamartine ; il les cachera, comme un trésor volé, dans le fond de son pupitre, d’où il les tirera, vingt fois par jour, pour les lire, relire et apprendre, pour transformer en mélancolie délicieuse et consolée