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d’une grandeur petite. Car, en étant à même de communier ainsi avec les poètes, vous aurez atteint, vous aurez égalé la vie supérieure que les plus nobles esprits et les plus grands coeurs de tous les siècles auront vécue aux heures les plus hautes et les plus généreuses de leur passage parmi les hommes. Écoutez Lamartine, à la huitième vision de la Chute d’un Ange :

Il est, parmi les fils les plus doux de la femme,
Des hommes dont les sens obscurcissent moins l'âme,
Dont le coeur est mobile et profond comme l’eau.
Dont le moindre contact fait frissonner la peau,
Dont la pensée, en proie à de sacrés délires,
S’ébranle au doigt divin, chante comme des lyres,
Mélodieux échos semés dans l’univers
Pour comprendre sa langue et noter ses concerts...
Ceux-là, fuyant la foule et cherchant les retraites,
Ont avec le désert des amitiés secrètes;
Sur les grèves des flots en égarant leurs pas,
Ils entendent des voix que nous n’entendons pas :
Ils savent ce que dit l’étoile dans sa course,
La foudre au firmament, le rocher à sa source,
La vague au sable d’or qui semble l’assoupir,
Le bulbul à l’aurore et le coeur au soupir.
Les cornes des béliers rayonnent sur leurs têtes.
Écoutez-les prier, car Ils sont vos prophètes :
Sur l’écorce, ou la pierre, ou l’airain, écrivez
Leurs hymnes les plus saints pour l’avenir gravés;
Chargez-en des enfants la mémoire fragile,
Comme d’un vase neuf on parfume l’argile ;
Et que le jour qui meurt dise aux jours remontants
Le cri de tous les jours, la voix de tous les temps !
C’est ainsi que de Dieu l’invisible statue,
De force et de grandeur et d’amour revêtue
Par tous ces ouvriers dont l’esprit est la main,
Grandira d’âge en âge aux yeux du genre humain,
Et que la terre, enfin, dans son divin langage,
De pensée en pensée achèvera l’image !

Oui, voilà bien à quelle plénitude de vie vous vous trouverez associés par le commerce intime avec les poètes. Au milieu de ces vers admirables, il en est un,