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Est-ce par l’exceptionnelle qualité des rimes ? Non plus, car il se garderait bien d’arrêter l’attention sur un signe de virtuosité quelconque. Les rimes sont, prises en elles-mêmes, des plus banales, et plusieurs ne sont pas même ce que l’on appelle des rimes riches.
Et sans aucun de ces secours, en douze vers, le poète a su faire tenir le sentiment de l’immense, exprimer ce qui touche presque à l’ineffable. Le miracle n’en paraîtra que plus grand. Mais, puisque le secret n’en est pas là, poursuivons notre recherche et reprenons les vers un à un :

J'étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles.

En ce premier vers, qu’on ne saurait imaginer d’une simplicité plus parfaite, tout, déjà, est évoqué et posé : l’homme, le lieu, l’heure. Et ce vers, ralenti au milieu par une large pause, prolongé infiniment comme par un point d’orgue, grâce au dernier mot, « étoiles », est si grand qu’il pourrait faire, à lui seul, équilibre à tous les développements dont il plairait au poète de le faire suivre. Mais supposez, une minute, qu’il ait ainsi commencé la pièce :

Près des flots, j’étais seul, sous un ciel étoile.

Ce serait le même sens, et, pourtant, il n’y aurait plus rien là, absolument plus rien de ce qui est la poésie. Flots et étoiles sont les deux mots essentiels de la pièce, ceux dont l’apposition ou l’opposition vont former toute l’architecture du poème ; or, dans le vers du maître seulement, flots est à l’hémistiche, à la place en vue, et la virgule qui suit semble séparer les deux éléments, la mer et le ciel. Dans la seconde moitié du vers supposé, sur quatre mots il y en a deux, sous et un,