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l’incantation du poète, en effet, voici d’abord que les mots, — mots si simples, si fatigués par un long usage : flots, cieux, étoiles, monts, bois... qui n’appelaient plus à notre esprit que l’idée sèche et terne des choses, — ont repris tout à coup leur entière vertu évocatoire, leur pouvoir d’éveiller en nous des émotions et des images, en même temps que des représentations abstraites. Un voile — le voile de l’accoutumance — a été comme tiré, qui nous cachait la beauté du monde; et il semble que nous nous retrouvions devant ce spectacle avec des yeux et un coeur vierges, tant ce que notre subconscient avait retenu de nos impressions anciennes est remonté tout à coup à notre conscience dans une plénitude et une fraîcheur de découverte.

Ce n’est pas tout : voici qu’en même temps, le poète nous arrache à la vie terrestre et nous plonge dans la vie solidaire de la création. Cent fois, peut-être, devant la mer et le ciel, nous avions agité en nous l’énigme de l’univers, nous demandant si ces lames qui déferlent et ces étoiles qui gravitent, depuis des millions de siècles et pour des millions de siècles encore, obéissent, ou non, à une cause intelligente, pour des fins intelligentes. Même si, dans un sens ou dans l’autre, nous avions incliné notre raison devant les raisonnements des philosophes, ç’avait été sans cet élan et cette volupté que donne seul un acte d’amour, un acquiescement de tout l’être. Mais, ce soir, le poète regarde avec nous les mêmes astres et les mêmes vagues; il ne décrit pas, il ne raisonne pas, il n’analyse pas : il voit, il sait, il croit... et aussitôt, ne fût-ce que pour une seconde, il nous ébranle et nous illumine d’un éclair de certitude par lequel nous