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L’Art des Vers ! Essaierai-je de le définir? A quoi bon ! J’aime mieux vous en faire sentir, par un exemple, toute la grandeur, toute la portée. Recueillez-vous une minute; fermez l’oreille aux bruits qui montent de la rue; oubliez quelques soucis médiocres; laissez tomber au fond de vous, comme une lie, tout ce qui, depuis votre réveil, — lecture d’un inutile journal ou d’un vain livre, conversation oiseuse, visite frivole, — a pu vous encombrer, vous salir, vous disperser au moins l’esprit. Puis, allez à votre bibliothèque; prenez, sur un rayon,les Orientales de Victor Hugo; ouvrez-les à la trente-septième pièce, et, avec lenteur, en articulant chaque syllabe, en respectant les points et les virgules comme vous feriez des pauses et des soupirs d’une musique notée, lisez ce poème en deux strophes : Extase.

J’étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles;
Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles;
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel,
Et les bois, et les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure
      Les flots des mers, les feux du ciel.

Et les étoiles d’or, légions infinies,
A voix haute, à voix basse, avec mille harmonies,
Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu;
Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n’arrête,
Disaient, en recourbant l’écume de leur crête :
      — C’est le Seigneur,le Seigneur Dieu !

Qui sommes-nous, à présent, et où sommes-nous? Pourquoi ce frisson qui nous a traversé le coeur, cette larme lumineuse qui nous est montée aux yeux? Par quel miracle nous sentons-nous, tout à la fois, descendus à de telles profondeurs en nous-mêmes, et montés à de telles hauteurs loin de nous-mêmes?... De par