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sonnages n’aient pas été placés infiniment plus haut. Il est impossible qu’il n’y ait pas eu là quelque effet de l’ascendant des traditions reçues auquel les inventeurs de fables n’ont pu se soustraire. Une des dates assignées au déluge d’Ogygès s’accorde même tellement avec l’une de celles qui ont été attribuées au déluge de Noé, qu’il est presque impossible qu’elle n’ait pas été prise dans quelque source où c’était de ce dernier déluge qu’on entendait parler[1].

Quant à Deucalion, soit que l’on regarde ce prince comme un personnage réel ou fictif, pour peu que l’on suive la manière dont son déluge a été introduit dans les poèmes des Grecs, et les divers détails dont il s’est trouvé successivement enrichi, il devient sensible que ce n’était qu’une tradition du grand cataclisme, altérée et placée par les Hellènes à l’époque où ils plaçaient aussi Deucalion, parce que Deucalion était regardé comme l’auteur de la nation des Hellènes, et que l’on confondait son histoire avec celle de tous les chefs des nations renouvelées[2].

  1. Vairon plaçait le déluge d’Ogygès, qu’il appelle le premier déluge, à quatre cents ans avant Inachus (à priore cataclismo quem Ogygium dicunt, ad Inachi regnum), et par conséquent à raille six cents ans avant la première olympiade ; ce qui le porterait à deux mille trois cent soixante-seize ans avant Jésus-Christ ; et le déluge de Noé, selon le texte hébreu, est de deux mille trois cent quarante-neuf : ce n’est que vingt-sept ans de différence. Ce témoignage de Varron est rapporté par Censorin, de Die natali, cap. XXI. A la vérité, Censorin n’écrivait qu’en deux cent trente-huit de Jésus-Christ, et il paraît d’après Jules Africain, ap. Euseb., Præp. cv, qu’Acusilaüs, le premier auteur qui plaçait un déluge sous le règne d’Ogygès, faisait ce prince contemporain de Phoronée, ce qui l’aurait beaucoup rapproché de la première olympiade. Jules Africain ne met que mille vingt ans d’intervalle entre les deux époques ; et il y a même dans Censorin un passage conforme à cette opinion ; aussi quelques-uns veulent-ils lire dans celui de Varron, que nous venons de citer d’après Censorin, erogitium au lieu d'Ogygium. Mais qu’est-ce qu’un cataclisme érogitien dont personne n’a jamais parlé ?
  2. Homère ni Hésiode n’ont rien su du déluge de Deucalion, non plus que de celui d'Ogygès.
    Le premier auteur subsistant où l’on trouve la mention du premier est Pindare (Od. Olymp. IX). Il fait aborder Deucalion sur le Parnasse, s’établir dans la ville de Protogénie (première naissance), et y recréer son peuple avec des pierres ; en un mot, il rapporte déjà, mais en l’appliquant à une nation seulement, la fable généralisée depuis par Ovide à tout le genre humain.
    Les premiers historiens postérieurs à Pindare (Hérodote, Thucydide et Xénophon) ne