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géometres & astronomes sur une matiere aussi importante.

Il faut avouer que cette méthode pour découvrir les longitudes demandera plus de science & de soin qu’il n’en eût fallu, si on eût pû trouver des horloges qui conservassent sur mer l’égalité de leur mouvement ; mais ce sera aux Mathématiciens à se charger de la peine des calculs ; pourvû qu’on ait les élémens sur lesquels la méthode est fondée, on pourra par des tables ou des instrumens, réduire à une grande facilité la pratique d’une théorie difficile.

Cependant la prudence voudra qu’au commencement on ne fasse qu’un usage fort circonspect de ces instrumens ou de ces tables, & qu’en s’en servant on ne néglige aucune des autres pratiques par lesquelles on estime la longitude sur mer ; un long usage en fera connoître la sûreté.

Comme les lieux de la lune sont différens pour les différens points de la surface de la terre, à cause de la parallaxe de cette planete, il sera nécessaire dans les observations qu’on fera des lieux de la lune, de pouvoir réduire ces lieux les uns aux autres, ou au lieu de la lune vue du centre de la terre. M. de Maupertuis dans son Discours sur la parallaxe de la lune, dont nous avons tiré une partie de ce qui précéde, donne des méthodes très-élégantes pour cela, & plus exactes qu’aucune de celles qu’on avoit publiées jusqu’à lui. Voyez Parallaxe.

4°. On préfere généralement dans la recherche des longitudes sur terre les observations des satellites de Jupiter à celles de la lune, parce que les premieres sont moins sujettes à la parallaxe que les autres, & que de plus elles peuvent toujours se faire commodement quelle que soit la situation de Jupiter sur l’horison. Les mouvemens des satellites sont prompts & doivent se calculer pour chaque heure : or pour découvrir la longitude au moyen de ces satellites, vous observerez avec un bon télescope la conjonction de deux d’entre eux ou de l’un d’eux avec Jupiter, ou quelques autres apparences semblables, & vous trouverez en même tems l’heure & la minute pour l’observation de la hauteur méridienne de quelques étoiles. Consultant ensuite les tables des satellites, vous observerez l’heure & la minute à laquelle cette apparence doit arriver au méridien du lieu pour lequel les tables sont calculées, & la différence du tems vous redonnera, comme ci-dessus, la longitude. Voyez Satellites.

Cette méthode de déterminer les longitudes sur terre est aussi exacte qu’on le puisse desirer, & depuis la découverte des satellites de Jupiter, la Géographie a fait de très-grands progrès par cette raison ; mais il n’est pas possible de s’en servir par mer. La longueur des lunettes jusqu’ici nécessaires pour pouvoir observer les immersions & les émersions des satellites, & la petitesse du champ de leur vision, font qu’à la moindre agitation du vaisseau l’on perd de vue le satellite, supposé qu’on l’ait pu trouver. L’observation des éclipses de lune est plus praticable sur mer ; mais elle est beaucoup moins bonne pour connoître les longitudes, à cause de l’incertitude du tems précis auquel l’éclipse commence ou finit, ou se trouve à son milieu ; ce qui produit nécessairement de l’incertitude dans le calcul de la longitude qui en résulte.

Les méthodes qui ont pour fondement des observations de phénomene céleste ayant toutes ce défaut qu’elles ne peuvent être toujours d’usage, parce que les observations ne se peuvent pas faire en tous tems, & étant outre cela d’une pratique difficile en mer, par rapport au mouvement du vaisseau ; il y a par cette raison des mathématiciens qui ont abandonné les moyens que peuvent fournir la lune & les satellites ; ils ont recours aux horloges & autres ins-

trumens de cette espece, & il faut avouer que s’ils

pouvoient en faire d’assez justes & d’assez parfaits pour qu’ils allassent précisément sur le soleil sans avancer ni retarder, & sans que d’ailleurs la chaleur ou le froid, l’air, & les différens climats n’y apportassent aucune altération, on auroit en ce cas la longitude avec toute l’exactitude imaginable ; car il n’y auroit qu’à mettre sa pendule ou son horloge sur le soleil au moment du départ, & lorsqu’on voudroit avoir la longitude d’un lieu, il ne s’agiroit plus que d’examiner au ciel l’heure & la minute qu’il est ; ce qui se fait la nuit au moyen des étoiles, & le jour au moyen du soleil : la différence entre le tems ainsi observé, & celui de la machine, donneroit évidemment la longitude. Mais on n’a point découvert jusqu’aujourd’hui de pareille machine ; c’est pourquoi on a eu encore recours à d’autres méthodes.

M. Whiston a imaginé une méthode de trouver les longitudes par la flamme & le bruit des grands canons. Le son, comme on le sait, se meut assez uniformément dans toutes ses ondulations, quel que soit le corps sonore d’où il part, & le milieu par où il se transmet. Si l’on tire donc un mortier ou un grand canon dans un endroit où la longitude est connue, la différence entre le tems où le feu, qui se meut comme dans un instant, sera vu, & celui où le son qui se meut sur le pié de 173 toises par seconde, sera entendu, donnera la distance des deux lieux l’un de l’autre ; ainsi en supposant qu’on eût la latitude des lieux, on pourra par ce moyen parvenir à la connoissance de la longitude. Voyez Son, &c.

De plus si l’heure & la minute où l’on tire le canon sont connues pour le lieu où l’on le tire, observant alors, par le soleil & les étoiles, l’heure & la minute dans le lieu dont on cherche la longitude, & où nous supposons qu’on entend le canon même sans le voir, la différence de ces deux tems sera la différence de longitude.

Enfin, si ce mortier étoit chargé d’un boulet creux ou d’une maniere de bombe pleine de matiere combustible, & qu’on le plaçât perpendiculairement, il porteroit sa charge à un mille de haut, & on en pourroit voir le feu à près de cent milles de distance. Si l’on se trouve donc dans un endroit d’où l’on ne puisse appercevoir la flamme du canon, ni en entendre le son, on pourra néanmoins déterminer la distance du lieu où on sera, à celui où le mortier aura été braqué, par la hauteur dont la bombe s’élevera au-dessus de l’horison : or la distance & la latitude étant une fois connues, la longitude se trouvera facilement.

Suivant cette idée, on proposoit d’avoir de ces mortiers placés de distance en distance, & à des stations connues, dans toutes les côtes, les îles, les caps, &c. qui sont fréquentés, & de les tirer à certains momens marqués de la journée pour l’usage & l’avantage des navigateurs.

Cette méthode, qui pourroit plaire à l’esprit dans la théorie, est cependant entierement inutile, parce qu’elle est très-incommode & même qu’elle suppose trop. Elle suppose, par exemple, que le son peut-être entendu de 40, 50 ou 60 milles, & il est vrai qu’on en a des exemples ; mais ces exemples sont très-rares, & d’ordinaire le bruit du canon ne s’entend que de la moitié au plus de cet espace, & quelquefois de beaucoup moins loin. Elle suppose encore que le son se meut toujours avec une égale vîtesse, au lieu que dans le fait sa vîtesse peut augmenter ou diminuer selon qu’il se meut ou en même sens que le vent, ou en sens contraire.

Il est vrai que suivant quelques expériences le vent n’altere en rien la vîtesse du son ; mais ces expériences auroient besoin d’être répétées un grand nombre de fois pour qu’on pût en déduire des regles