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L’assemblage ou le corps des lois qu’il fait conformément à ce but, est ce qu’on nomme droit civil ; & l’art au moyen duquel on établit les lois civiles, on les explique lorsqu’elles ont quelqu’obscurité, ou on les applique convenablement aux actions des citoyens, s’appelle jurisprudence civile.

Pour pourvoir d’une maniere stable au bonheur des hommes & à leur tranquillité, il falloit établir des lois fixes & déterminées, qui éclairées par la raison humaine, tendissent à perfectionner & à modifier utilement la loi naturelle.

Les lois civiles servent donc, 1°. à faire connoître plus particulierement les lois naturelles elles-mêmes. 2°. A leur donner un nouveau degré de force, par les peines que le souverain inflige à ceux qui les méprisent & qui les violent. 3°. A expliquer ce qu’il peut y avoir d’obscur dans les maximes du droit naturel. 4°. A modifier en diverses manieres l’usage des droits que chacun a naturellement. 5°. A déterminer les formalités que l’on doit suivre, les précautions que l’on doit prendre pour rendre efficaces & valables les divers engagemens que les hommes contractent entr’eux, & de quelle maniere chacun doit poursuivre son droit devant les tribunaux.

Ainsi les bonnes lois civiles ne sont autre chose que les lois naturelles elles-mêmes perfectionnées & modifiées par autorité souveraine, d’une maniere convenable à l’état de la société qu’il gouverne & à ses avantages.

On peut distinguer deux sortes de lois civiles ; les unes sont telles par rapport à leur autorité seulement, & les autres par rapport à leur origine.

On rapporte à la premiere classe toutes les lois naturelles qui servent de regles dans les tribunaux civils, & qui sont d’ailleurs confirmées par une nouvelle sanction du souverain : telles sont toutes les lois qui déterminent quels sont les crimes qui doivent être punis.

On rapporte à la seconde classe les lois arbitraires, qui ont pour principe la volonté du souverain, ou qui roulent sur des choses qui se rapportent au bien particulier de l’état, quoiqu’indifférentes en elles-mêmes : telles sont les lois qui reglent les formalités nécessaires aux contrats, aux testamens, la maniere de procéder en justice, &c. Mais quoique ces réglemens soient arbitraires, ils doivent toujours tendre au bien de l’état & des particuliers.

Toute la force des lois civiles consiste dans leur justice & dans leur autorité, qui sont deux caracteres essentiels à leur nature, & au défaut desquels elles ne sauroient produire une véritable obligation.

L’autorité des lois civiles consiste dans la force que leur donne la puissance de celui, qui, étant revêtu du pouvoir législatif, a droit de faire ces lois, & dans les maximes de la droite raison, qui veulent qu’on lui obéisse.

La justice des lois civiles dépend de leur rapport à l’ordre de la société dont elles sont les regles, & de leur convenance avec l’utilité particuliere qui se trouve à les établir, selon que le tems & les lieux le demandent.

La puissance du souverain constitue l’autorité de ces lois, & sa bénéficence ne lui permet pas d’en faire d’injustes.

S’il y en avoit qui renversassent les principes fondamentaux des lois naturelles & des devoirs qu’elles imposent, les sujets seroient en droit & même dans l’obligation de refuser d’obéir à des lois de cette nature.

Il convient absolument que les sujets ayent connoissance des lois du souverain : il doit par conséquent publier ses lois, les bien établir & les notifier.

Il est encore absolument essentiel qu’elles soient écrites de la maniere la plus claire, & dans la langue du pays, comme ont été écrites toutes les lois des anciens peuples. Car comment les observeroit-on, si on ne les connoît pas, si on ne les entend pas ? Dans les premiers tems, avant l’invention de l’écriture, elles étoient composées en vers que l’on apprenoit par cœur, & que l’on chantoit pour les bien retenir. Parmi les Athéniens, elles étoient gravées sur des lames de cuivre attachées dans des lieux publics. Chez les Romains, les enfans apprenoient par cœur les lois des douze tables.

Quand les lois civiles sont accompagnées des conditions dont on vient de parler, elles ont sans contredit la force d’obliger les sujets à leur observation, non seulement par la crainte des peines qui sont attachées à leur violation, mais encore par principe de conscience, & en vertu d’une maxime même du droit naturel, qui ordonne d’obéir au souverain en tout ce qu’on peut faire sans crime.

Personne ne sauroit ignorer l’auteur des lois civiles, qui est établi ou par un consentement exprès des citoyens, ou par un consentement tacite, lorsqu’on se soumet à son empire, de quelque maniere que ce soit.

D’un autre côté, le souverain dans l’établissement des lois civiles, doit donner ses principales attentions à faire ensorte qu’elles ayent les qualités suivantes, qui sont de la plus grande importance au bien public.

1°. D’être justes, équitables, conformes au droit naturel, claires, sans ambiguité & sans contradiction, utiles, nécessaires, accommodées à la nature & au principe du gouvernement qui est établi ou qu’on veut établir, à l’état & au génie du peuple pour lequel elles sont faites ; relatives au physique du pays, au climat, au terroir, à sa situation, à sa grandeur, au genre de vie des habitans, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, & à leurs coûtumes.

2°. De nature à pouvoir être observées avec facilité ; dans le plus petit nombre, & le moins multipliées qu’il soit possible ; suffisantes pour terminer les affaires qui se trouvent le plus communément entre les citoyens, expéditives dans les formalités & les procédures de la justice, tempérées par une juste sévérité proportionnée à ce que requiert le bien public.

Ajoutons, que les lois demandent à n’être pas changées sans nécessité ; que le souverain ne doit pas accorder des dispenses pour ses lois, sans les plus fortes raisons ; qu’elles doivent s’entre-aider les unes les autres autant qu’il est possible. Enfin, que le prince doit s’y assujettir lui-même & montrer l’exemple, comme Alfred, qu’un des grands hommes d’Angleterre nomme la merveille & l’ornement de tous les siecles. Ce prince admirable, aprés avoir dressé pour son peuple un corps de lois civiles, pleines de sagesse & de douceur, pensa, disent les historiens, que ce seroit en vain qu’il tâcheroit d’obliger ses sujets à leur observation, si les juges, si les magistrats, si lui même n’en donnoit le premier l’exemple.

Ce n’est pas assez que les lois civiles des souverains renferment les qualités dont nous venons de parler, si leur style n’y répond.

Les lois civiles demandent essentiellement & nécessairement un style précis & concis : les lois des douze tables en sont un modele. 1°. Un style simple ; l’expression directe s’entend toujours mieux que l’expression réfléchie. 2°. Sans subtilités, parce qu’elles ne sont point un art de Logique. 3°. Sans ornemens, ni comparaison tirée de la réalité à la