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rabaisser considérablement. Il en est de même du péril du roui & du blanchissage. Il faut encore ajoûter à cela le loyer, la dixme, les impositions, le ravage de la guerre fréquente en Flandres, les rentes seigneuriales dont les terres sont chargées, l’entretien du ménage, &c.

Ce qui soutient l’agriculteur, c’est l’espérance d’une bonne année qui le dédommagera ; & puis il met en lin & en colsat, sa terre qui repose, au-lieu de la laisser en jachere.

Il faut savoir que la même terre ne porte lin qu’une fois tous les cinq à six ans. On l’ensemence autrement dans l’intervalle ; on aime cependant à semer le lin sur une terre qui a porté du trefle, & le blé vient très-bien après le lin.

De la culture du lin. Les agriculteurs distinguent trois sortes de lins, le froid, le chaud, & le moyen entre les extrêmes.

Le lin chaud croît le premier. Il pousse fort d’abord & s’éleve beaucoup au-dessus des autres ; mais cette vigueur apparente ne dure pas ; il s’arrête & reste au-dessous des autres. Il a d’ailleurs un autre défaut considérable, c’est d’abonder en graine, & par conséquent en têtes ; or ces têtes naissent quelquefois de fort bas ; quand on travaille le lin, elles cassent, se détachent, & le lin déjà court, se racourcit encore.

Le lin froid croît au contraire fort lentement d’abord. On en voit qui six semaines & plus après avoir été semé, n’a pas la hauteur de deux doigts ; mais il devient vigoureux & finit par s’élever au-dessus des autres ; il porte peu de graines ; il a peu de branches ; il ne se racourcit pas autant que le chaud ; en un mot ses qualités sont aussi bonnes que celles du lin sont mauvaises.

Le lin moyen participe de la nature du froid & du chaud. Il ne croît pas si vîte que le lin chaud ; il porte moins de graine ; il s’éleve davantage. Quant à la maturité, le lin chaud murit le premier, le moyen ensuite, le froid le dernier.

Ces especes de lins sont très-mêlées ; mais ne pourroit-on pas les séparer ? On ne sait pour avoir la graine du lin froid, que de l’acheter en tonnes de lineuse de Riga en Livonie. On en trouve à Coutras, à Saint-Amant, à Valenciennes, &c. mais on peut être trompé.

La linuise de Riga est la meilleure. Le lin froid se défend mieux contre la gelée que toutes les autres especes. Mais comme la linuise n’est jamais parfaite, il vient à la récolte des plantes d’autres sortes de lins ; le mélange s’accroît à chaque semaille, les lins chauds produisant plus de grains que les lins froids, & l’on est forcé de revenir à l’achat de nouvelle linuise tous les trois ou quatre ans.

La linuise de Riga est mêlée d’une petite semence rousse & oblongue avec quelques brins de lin & un peu de la terre du pays. On la reconnoît à cela. Mais comme il faut purger la linuise de ces ordures, il arrive aussi que les marchands les gardent, & s’en servent pour tromper plus surement, en les mêlant à de la linuise du pays. Il n’y a aucun caractere qui spécifie une linuise du pays d’une linuise de Riga.

On considere dans le lin la longueur, la finesse & la force. Pour avoir la longueur, il ne suffit pas de s’être pourvû de bonne graine, il faut l’avoir semée en bonne terre & bien meuble, qui seche facilement après l’hiver, & qui soit de grand jet ; c’est-à-dire, qui pousse toutes les plantes qu’on y seme avant l’hiver ; on aura par ce moyen de la longueur. Mais il faut savoir si l’on veut ou si l’on ne veut pas le ramer. Dans ce dernier cas, on peut s’en tenir à une terre qui ait porté du blé, de l’avoine ou du trefle dans l’année ; labourer ou

fumer modérément avant l’hiver. Dans le dernier, les frais seront considérables ; il faut pour s’assurer du succès, choisir une terre en jachere, la bien cultiver pendant l’été, fumer extraordinairement, & laisser passer l’hiver sur un labour fait dans le mois d’Août. Par ce moyen elle se disposera beaucoup mieux au printems vers le 20 de Mars. Si la terre est assez seche pour pouvoir être bien labourée, hersée & ameublie, on y travaillera, & l’on semera. Plûtôt on semera, mieux on fera, plus le lin aura de force. Il faut si bien choisir son tems, que l’on n’essuie pas de grandes pluies pendant ce travail, la terre en seroit gâtée & le travail retardé.

Un des moyens les plus surs, est de semer en même tems que le lin la fiente de pigeon bien pulvérisée, de herser immédiatement après, & de resserrer la graine avec un bon rouleau bien lourd. On prépare, ou plûtôt on tue toutes les mauvaises graines contenues dans la fiente de pigeon, en l’arrosant d’eau, ce qui l’échauffe. Quand on juge que l’espece de fermentation occasionnée par l’eau a tué les graines de la fiente, & éteint sa chaleur propre, on la fait sécher & on la bat.

On obtient la finesse du lin en le semant dru. En semant jusqu’à deux avots de linuise, mesure de l’île, sur chaque cent de terre, contenant cent verges quarrées, de dix piés la verge, on s’en est fort bien trouvé : d’autres se réduisent à une moindre quantité. Il s’agit ici de lins ramés. Un avot de semaille pour les autres lins, suffit par cent de terre.

Aussi tôt que le lin peut être sarclé, il faut y procéder. On ne pourra non plus le ramer trop tôt. Il seroit difficile d’expliquer cette opération. Il faut la voir faire, & si l’on n’a pas d’ouvriers qui s’y entendent, il faut en appeller des endroits où l’on rame.

Il ne faut jamais attendre pour recueillir que le lin soit mur. En le cueillant, toûjours un peu verd, on l’étend derriere soi sur les ramures. On retourne quand il est sec d’un côté : ensuite on le range droit autour d’une perche fichée en terre. On l’y attache par le haut, même à plusieurs étages : quand il est assez sec, on le lie par bottes & on le serre.

Il faut sur-tout bien prendre garde qu’il ne soit mouillé, lorsque les petites feuilles commencent à secher ; s’il lui survient cet accident, il noircira comme de l’encre & sans remede. Lorsqu’il est assez sec pour être lié, sans qu’il y ait risque qu’il moisisse, on l’emporte, comme on a dit, & l’on fait secher la graine ; pour cet effet on dresse les bottes & l’on les tient exposées au soleil. Si le tems est fixé au beau, on les laisse dehors la nuit, sinon on les remet à sec.

Il ne faut pas sur-tout qu’il soit trop serré, ni trop tôt entassé, car il se gâteroit par le haut. On le visitera souvent dans les tems humides, principalement au commencement. On reconnoîtra la secheresse du lin à la siccité de sa graine.

Quand la graine est bien seche, il faudra battre la tige le plutôt possible, pour se garantir du dégât des souris. On ne bat pas avec le fléau ; on a une piece de bois épaisse de deux pouces & demi à trois pouces, plus longue que large, emmanchée d’un gros baton un peu recourbé ; c’est avec cet instrument qu’on écrase la tête du lin qu’on tient sous le pié, & qu’on frappe de la main. Ensuite on vanne la graine & l’on en fait de l’huile, ou on la garde, selon qu’elle est ou maigre ou pleine.

Il s’agit ensuite de le rouir. On commence par le bien arranger à mesure qu’on le bat. On le lie par grosses poignées qu’on attache par le haut avec du lin même. On range ensuite les poignées les unes sur les autres, les racines en dehors à chaque bout ; & quand on a formé une botte de six à sept piés de tour,