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beaucoup de disciples & d’approbateurs chez les Chrétiens.

10. Ces ames sortirent pures de la main de Dieu. On récite encore aujourd’hui une priere qu’on attribue aux docteurs de la grande synagogue, dans laquelle on lit : O Dieu ! l’ame que tu m’as donnée est pure ; tu l’as créée, tu l’as formée, tu l’as inspirée ; tu la conserves au-dedans de moi, tu la reprendras, lorsqu’elle s’envolera, & tu me la rendras au tems que tu as marqué.

On trouve dans cette priere tout ce qui regarde l’ame ; car voici comment rabbin Menasse l’a commentée : l’ame que tu m’as donnée est pure, pour apprendre que c’est une substance spirituelle, subtile, qui a été formée d’une matiere pure & nette. Tu l’as créée, c’est-à-dire au commencement du monde avec les autres ames. Tu l’as formée, parce que notre ame est un corps spirituel, composé d’une matiere céleste & insensible ; & les cabalistes ajoûtent qu’elle s’unit au corps pour recevoir la peine ou la récompense de ce qu’elle a fait. Tu l’as inspirée, c’est-à-dire tu l’as unie à mon corps sans l’intervention des corps célestes, qui influent ordinairement dans les ames végétatives & sensitives. Tu la conserves, parce que Dieu est la garde des hommes. Tu la reprendras, ce qui prouve qu’elle est immortelle. Tu me la rendras, ce qui nous assure de la vérité de la résurrection.

11. Les Thalmudistes débitent une infinité de fables sur le chapitre d’Adam & de sa création. Ils comptent les douze heures, du jour auquel il fut créé, & ils n’en laissent aucune qui soit vuide. A la premiere heure, Dieu assembla la poudre dont il devoit le composer, & il devint un embrion. A la seconde, il se tint sur ses piés. A la quatrieme, il donna les noms aux animaux. La septieme fut employée au mariage d’Eve, que Dieu lui amena comme un paranymphe, après l’avoir frisée. A dix heures Adam pécha ; on le jugea aussi-tôt, & à douze heures il sentoit déja la peine & les sueurs du travail.

12. Dieu l’avoit fait si grand qu’il remplissoit le monde, ou du moins il touchoit le ciel. Les anges étonnés en murmurerent, & dirent à Dieu qu’il y avoit deux êtres souverains, l’un au ciel & l’autre sur la terre. Dieu averti de la faute qu’il avoit faite, appuya la main sur la tête d’Adam, & le réduisit à une nature de mille coudées ; mais en donnant au premier homme cette grandeur immense, ils ont voulu seulement dire qu’il connoissoit tous les secrets de la nature, & que cette science diminua considérablement par le péché ; ce qui est orthodoxe. Ils ajoutent que Dieu l’avoit fait d’abord double, comme les payens nous représentent janus à deux fronts ; c’est pourquoi on n’eut besoin que de donner un coup de hache pour partager ces deux corps ; & cela est clairement expliqué par le prophete, qui assure que Dieu l’a formé par devant & par derriere : & comme Moïse dit aussi que Dieu le forma mâle & femelle ; on conclut que le premier homme étoit hermaphrodite.

13. Sans nous arrêter à toutes ces visions qu’on multiplieroit à l’infini, les docteurs soutiennent, 1o. qu’Adam fut créé dans un état de perfection ; car s’il étoit venu au monde comme un enfant, il auroit eu besoin de nourrice & de précepteur. 2o. C’étoit une créature subtile : la matiere de son corps étoit si délicate & si fine, qu’il approchoit de la nature des anges, & son entendement étoit aussi parfait que celui d’un homme le peut être. Il avoit une connoissance de Dieu & de tous les objets spirituels, sans l’avoir jamais apprise, il lui suffisoit d’y penser ; c’est pourquoi on l’appelloit fils de Dieu. Il n’ignoroit pas même le nom de Dieu ; car Adam ayant donné le nom à tous les animaux, Dieu lui demanda

quel est mon nom ? & Adam répondit, Jéhovah. C’est toi qui es ; & c’est à cela que Dieu fait allusion dans le prophete Isaïe, lorsqu’il dit : je suis celui qui suis, c’est là mon nom ; c’est-à-dire, le nom qu’Adam m’a donné & que j’ai pris.

14. Ils ne conviennent pas que la femme fut aussi parfaite que l’homme, parce que Dieu ne l’avoit formée que pour lui être une aide. Ils ne sont pas même persuadés que Dieu l’eût faite à son image. Un théologien chretien (Lambert Danæus, in Antiquitatibus, pag. 42) a adopté ce sentiment en l’adoucissant ; car il enseigne que l’image de Dieu étoit beaucoup plus vive dans l’homme que dans la femme ; c’est pourquoi elle eut besoin que son mari lui servît de précepteur, & lui apprît l’ordre de Dieu, au lieu qu’Adam l’avoit reçu immédiatement de sa bouche.

15. Les docteurs croient aussi que l’homme fait à l’image de Dieu étoit circoncis ; mais ils ne prennent pas garde que, pour relever l’excellence d’une cérémonie, ils font un Dieu corporel. Adam se plongea d’abord dans une débauche affreuse, en s’accouplant avec les bêtes, sans pouvoir assouvir sa convoitise, jusqu’à ce qu’il s’unit à Eve. D’autres disent au contraire qu’Eve étoit le fruit défendu auquel il ne pouvoit toucher sans crime ; mais emporté par la tentation que causoit la beauté extraordinaire de cette femme, il pécha. Ils ne veulent point que Caïn soit sorti d’Adam, parce qu’il étoit né du serpent qui avoit tenté Eve. Il fut si affligé de la mort d’Abel, qu’il demeura cent trente ans sans connoître sa femme, & ce fut alors qu’il commença à faire des enfans à son image & ressemblance. On lui reproche son apostasie, qui alla jusqu’à faire revenir la peau du prépuce, afin d’effacer l’image de Dieu. Adam, après avoir rompu cette alliance, se repentit ; il maltraita son corps l’espace de sept semaines dans le fleuve Géhon, & le pauvre corps fut tellement sacrifié, qu’il devint percé comme un crible. On dit qu’il y a des mysteres renfermés dans toutes ces histoires ; comme en effet il faut nécessairement qu’il y en ait quelques-uns ; mais il faudroit avoir beaucoup de tems & d’esprit pour les développer tous. Remarquons seulement que ceux qui donnent des regles sur l’usage des métaphores, & qui prétendent qu’on ne s’en sert jamais que lorsqu’on y a préparé ses lecteurs, & qu’on est assuré qu’ils lisent dans l’esprit ce qu’on pense, connoissent peu le génie des Orientaux, & que leurs regles se trouveroient ici beaucoup trop courtes.

16. On accuse les Juifs d’appuyer les systèmes des Préadamistes qu’on a développés dans ces derniers siecles avec beaucoup de subtilité ; mais il est certain qu’ils croient qu’Adam est le premier de tous les hommes. Sangarius donne Jambuscar pour précepteur à Adam ; mais il ne rapporte ni son sentiment, ni celui de sa nation. Il a suivi plutôt les imaginations des Indiens & de quelques barbares, qui contoient que trois hommes nommés Jambuscha, Zagtith & Boan ont vêcu avant Adam, & que le premier avoit été son précepteur. C’est en vain qu’on se sert de l’autorité de Maïmonides un des plus sages docteurs des Juifs ; car il rapporte qu’Adam est le premier de tous les hommes qui soit né par une génération ordinaire ; il attribue cette pensée aux Zabiens, & bien loin de l’approuver, il la regarde comme une fausse idée qu’on doit rejetter ; & qu’on n’a imaginé cela que pour défendre l’éternité du monde que ces peuples qui habitoient la Perse soutenoient.

Les Juifs disent ordinairement qu’Adam étoit né jeune dans une stature d’homme fait, parce que toutes choses doivent avoir été créées dans un état de perfection ; & comme il sortoit immédiatement des mains de Dieu, il étoit souverainement sage & prophete créé à l’image de Dieu. On ne finiroit pas, si