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de l’être par leur consécration ; leurs biens personnels, & ceux mêmes qui ont été donnés à l’église (en quoi l’on ne comprend point les offrandes & oblations), demeurent pareillement sujets aux charges de l’état, sauf les priviléges & exemptions que les ecclésiastiques peuvent avoir.

Ces priviléges ont reçu plus ou moins d’étendue, selon les pays, les tems & les conjonctures, & selon que le prince étoit disposé à traiter plus ou moins favorablement les ecclésiastiques, & que la situation de l’état le permettoit.

Si on recherche ce qui s’observoit par rapport aux ministres de la religion sous la loi de Moïse, on trouve que la tribu de Lévi sut soumise à Saül, de même que les onze autres tribus, & si elle ne payoit aucune redevance, c’est qu’elle n’avoit point eu de part dans les terres, & qu’il n’y avoit alors d’autre imposition que le cens qui étoit dû à cause des fonds.

Jesus-Christ a dit qu’il n’étoit pas venu pour délier les sujets de l’obéissance des rois ; il a enseigné que l’église devoit payer le tribut à César, & en a donné lui-même l’exemple, en faisant payer ce tribut pour lui & pour ses apôtres.

La doctrine de S. Paul est conforme à celle de J. C. Toute ame, dit-il, est sujette aux puissances. S. Ambroise, évêque de Milan, disoit à un officier de l’empereur : si vous demandez des tributs, nous ne vous les refusons pas, les terres de l’église payent exactement le tribut. S. Innocent, pape, écrivoit en 404 à S. Victrice, évêque de Rouen, que les terres de l’église payoient le tribut.

Les ecclésiastiques n’eurent aucune exemption ni immunité jusqu’à la fin du troisieme siecle. Constantin leur accorda de grands priviléges ; il les exempta des corvées publiques ; on ne trouve cependant pas de loi qui exemptât leurs biens d’impositions.

Sous Valens, ils cesserent d’être exempts des charges publiques ; car dans une loi qu’il adressa en 370 à Modeste, préfet du prétoire, il soumet aux charges des villes les clercs qui y étoient sujets par leur naissance, & du nombre de ceux que l’on nommoit curiales, à moins qu’ils n’eussent été dix ans dans le clergé.

Honorius ordonna en 412 que les terres des églises seroient sujettes aux charges ordinaires, & les affranchit seulement des charges extraordinaires.

Justinien, par sa novelle 37, permet aux évêques d’Afrique de rentrer dans une partie des biens, dont les Ariens les avoient dépouillés, à condition de payer les charges ordinaires ; ailleurs il exempte les églises des charges extraordinaires seulement ; il n’exempta des charges ordinaires qu’une partie des boutiques de Constantinople, dont le loyer étoit employé aux frais des sépultures, dans la crainte que, s’il les exemptoit toutes, cela ne préjudiciât au public.

Les papes mêmes & les fonds de l’église de Rome, ont été tributaires des empereurs romains ou grecs jusqu’à la fin du huitieme siecle. S. Grégoire recommandoit aux défenseurs de Sicile de faire cultiver avec soin les terres de ce pays, qui appartenoient au saint siége, afin que l’on pût payer plus facilement les impositions dont elles étoient chargées. Pendant plus de cent vingt ans, & jusqu’à Benoît II, le pape étoit confirmé par l’empereur, & lui payoit 20 liv. d’or ; les papes n’ont été exempts de tous tributs, que depuis qu’ils sont devenus souverains de Rome & de l’exarcat de Ravenne, par la donation que Pepin en fit à Etienne III.

Lorsque les Romains eurent conquis les Gaules, tous les ecclésiastiques, soit gaulois ou romains, étoient sujets aux tributs, comme dans le reste de l’empire.

Depuis l’établissement de la monarchie françoise, on suivit pour le clergé ce qui se pratiquoit du tems des empereurs, c’est-à-dire que nos rois exempterent les ecclésiastiques d’une partie des charges personnelles ; mais ils voulurent que les terres de l’église demeurassent sujettes aux charges réelles.

Sous la premiere & la seconde race de nos rois, tems où les fiefs étoient encore inconnus, les ecclésiastiques devoient déja, à cause de leurs terres, le droit de giste ou procuration, & le service militaire ; ces deux devoirs continuerent d’être acquittés par les ecclésiastiques encore long-tems sous la troisieme race.

Le droit de giste & de procuration consistoit à loger & nourrir le roi & ceux de sa suite, quand il passoit dans quelque lieu où des ecclésiastiques seculiers ou réguliers avoient des terres ; ils étoient aussi obligés de recevoir ceux que le roi envoyoit de sa part dans les provinces.

A l’égard du service militaire, lorsqu’il y avoit guerre, les églises étoient obligées d’envoyer à l’armée leurs vassaux & un certain nombre de personnes, & de les y entretenir ; l’évêque ou l’abbé devoit être à la tête de ses vassaux. Quelques-uns de nos rois, tel que Charlemagne, dispenserent les prélats de se trouver en personne à l’armée, à condition d’envoyer leurs vassaux sous la conduite de quelque autre seigneur ; il y avoit des monasteres qui payoient au roi une somme d’argent pour être déchargés du service militaire.

Outre le droit de giste & le service militaire, les ecclésiastiques fournissoient encore quelquefois au roi des secours d’argent pour les besoins extraordinaires de l’état. Clotaire I. ordonna en 558 ou 560, qu’ils payeroient le tiers de leur revenu ; tous les évêques y souscrivirent, à l’exception d’Injuriosus, évêque de Tours, dont l’opposition fit changer le roi de volonté ; mais si les ecclésiastiques firent alors quelque difficulté de payer le tiers, il est du-moins constant qu’ils payoient au roi, ou autre seigneur duquel ils tenoient leurs terres, la dixme ou dixieme partie des fruits, à l’exception des églises qui en avoient obtenu l’exemption, comme il paroît par une ordonnance du même Clotaire de l’an 560, ensorte que l’exemption de la dixme étoit alors une des immunités de l’église. Chaque église étoit dotée suffisamment, & n’avoit de dixme ou dixieme portion que sur les terres qu’elle avoit données en bénéfice. Dans la suite les exemptions de dixme étant devenues fréquentes en faveur de l’église, de même que les concessions du droit actif de dixmes, on a regardé les dixmes comme étant ecclésiastiques de leur nature.

Les églises de France étoient aussi dès lors sujettes à certaines impositions. En effet, Grégoire de Tours rapporte que Theodebert, roi d’Austrasie, petit-fils de Clovis, déchargea les églises d’Auvergne de tous les tributs qu’elles lui payoient. Le même auteur nous apprend que Childebert, aussi roi d’Austrasie & petit-fils de Clotaire I. affranchit pareillement le clergé de Tours de toutes sortes d’impôts.

Charles Martel, qui sauva dans tout l’Occident la religion de l’invasion des Sarrasins, fit contribuer le clergé de France à la récompense de la noblesse qui lui avoit aidé à combattre les infideles ; l’opinion commune est qu’il ôta aux ecclésiastiques les dixmes pour les donner à ses principaux officiers ; & c’est de-là que l’on tire communément l’origine des dixmes inféodées ; mais Pasquier, en ses recherches, liv. III. chap. xxxxij, & plusieurs autres auteurs tiennent que Charles Martel ne prit pas les dixmes ; qu’il prit seulement une partie du bien temporel des églises, sur-tout de celles qui étoient de fondation royale, pour le donner à la noblesse françoise, & que