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qui ne doivent pas beaucoup servir, si ce n’est d’étuve, peut-être, ou à empêcher que le fourneau n’aille bien, ou à y faire faire un feu si violent pour qu’il puisse être de quelqu’effet à l’autre bout, que le fourneau ne pourroit manquer de couler. Il y a pourtant cette différence commune entre les athanors de Cramer & de Gellert, & celui de Ludolf, que ce dernier auteur a construit le sien de façon qu’il faut que le feu descende au lieu de monter. Voyez le même défaut, Planche III. de Barchusen, page 77. de Barner, & Planche IV. de Manget. Au reste, on peut bien ne pas regarder les dernieres chambres que Ludolf & Gellert ont ajoûtées au fourneau de Cramer, comme tout-à-fait inutiles ; au-moins peuvent-elles n’être pas nuisibles entre les mains d’un bon artiste ; la longueur de l’athanor pouvant être considérée ainsi que nous l’avons déjà avancé, comme le canal qui sert à augmenter la vivacité du feu dans les fourneaux de fusion, & par cette raison-là étant dirigé obliquement de bas en-haut : il s’ensuit donc que la chaleur qui regne dans les chambres les plus éloignées, peut servir à quelques opérations, quoiqu’elle y soit foible. Je sens bien qu’en raisonnant sur les principes de la construction de quelques fourneaux en grand, comme du fourneau à l’angloise, on croira que la chaleur dans le canal de l’athanor doit être semblable à celle de la cheminée de ces grands fourneaux, mais on seroit dans l’erreur si l’on se fondoit sur cette idée. Il y a une très-grande différence entre la flamme du bois qu’on brûle dans le fourneau anglois, & la flamme du charbon, qui est peu de chose.

On peut considérer les fourneaux à lampe comme des athanors différens des autres par la forme & la pâture du feu. Il y a une certaine analogie entre la pompe d’une lampe & la tour d’un athanor.

Des fourneaux polychrestes. Ce sont des fourneaux qui, comme on peut le conjecturer par la signification du mot grec composé dont on les qualifie, servent à plusieurs opérations. Il y a même des auteurs qui prétendent qu’avec un pareil fourneau bien construit, on peut se dispenser d’avoir tous les autres, pourvû toutefois qu’on n’ait pas plusieurs opérations à faire à-la-fois. Examinons ces prétentions.

Les Chimistes ont observé que le même fourneau servoit à plusieurs opérations. La nécessité en a étendu l’usage, & est devenu un principe. On a donné des preuves de sa sagacité en mettant les fourneaux à la torture ; mais on a fait voir qu’on n’en connoissoit point la méchanique. Ceux qui ont appliqué les fourneaux à plus d’objets, ont été regardés comme les plus habiles ; & en effet, il a fallu de l’imagination. De-là est venu l’axiome, qu’un bon artiste avoit besoin de peu d’instrumens. Mais cela ne prouve que de l’analogie dans l’esprit de l’artiste, & de la sagacité si l’on veut, & non point-du-tout que les instrumens soient bons à exécuter son idée ; de façon qu’elle ne pourroit l’être en moins de tems, de peine, de dépense, & avec plus de facilité par un autre. Malgré cela les plus habiles se sont exercés à chercher des fourneaux qui pussent servir à toute sorte d’usages, & il faut avoüer qu’ils y ont réussi jusqu’à un certain point. Cependant on ne peut se dissimuler qu’ils sont partis d’après un principe erroné ; & quel principe ne l’est pas, ou peut être général ? Ils ne se seroient pas donné tant de peine s’ils eussent été bien convaincus que l’art des fourneaux n’étoit & n’est encore que dans son enfance ; & que leurs bonnes ou mauvaises qualités dépendent d’un rien qui n’a point été connu, & qui vraissemblablement ne le sera jamais. La connoissance des fourneaux seroit certainement plus avancée, s’ils ne l’eussent pas retardée par leurs idées de vouloir prévenir la nature. Il falloit commencer par faire un fourneau simple parfait pour un seul usa-

ge, avant que de le vouloir appliquer à plusieurs ;

& sans doute qu’ils eussent été guéris de cette demangeaison. Ce n’est pas que je regarde la chose comme aisée & même comme possible ; car il me semble que l’exécution d’un pareil ustensile dépend de la connoissance composée de la nature des matériaux qu’on y employe, du feu qui y exerce son action, des vaisseaux & des corps qu’ils contiennent, & de l’espace à parcourir ; comme celle d’une machine dépend de la raison composée de la flexibilité des leviers, de leur poids, densité, frottement, &c. mais on peut au-moins tenter d’approcher de l’une & de l’autre.

Nous avons à donner deux exemples particuliers de fourneaux polychrestes, sans compter que nous considérerons sous ce point de vûe la plûpart de ceux dont nous avons déjà parlé. Il ne faut pourtant pas croire qu’il faille autant de fourneaux que d’opérations, & que le même fourneau ne puisse & ne doive servir à plusieurs du même genre. Il faut donc entendre par polychreste, celui qui pourra servir à plusieurs opérations disparates, comme par exemple, distillation & fusion, &c. Nous avons à parler en premier lieu du fourneau de Dornæus, fig. 75. & de celui de Beccher, fig. 71. le plus polychreste de tous, si l’on peut parler ainsi, ou celui qui se prête le mieux à la plus grande quantité d’opérations. Nous ferons revenir ensuite comme tels ceux qui nous paroissent plus précaires que ce dernier. Au reste, nous ne voulons point prevenir l’esprit du lecteur. Nous allons le mettre à portée d’examiner.

Les esprits fourmillent quelquefois d’inventions singulieres qu’ils varient sans aucune nécessité jusqu’à l’intempérance. Quelquefois la nécessité ou l’économie cherchent à abréger les travaux, sans faire attention que, quand on veut faire à-la-fois deux choses différentes, on ne fait souvent ni l’une ni l’autre. Un bon artiste ne cherchera point à abréger mal-à-propos, & il évitera avec le même soin de prodiguer ses peines. Il sait employer les fourneaux & les instrumens nécessaires, quoiqu’il voye qu’il faudra plus de tems & de dépense. Ceux qui voudront essayer de faire plusieurs travaux en même tems & au même feu, peuvent consulter Dornæus. Ce chimiste donne un fourneau où l’on peut distiller de trois façons : par ascension au bain de sable & de cendres ; par le côté à la retorte ; & enfin par descension, dans le même tems, avec le même feu, sans beaucoup plus de peine, & dans peu d’espace ; car son fourneau est élevé & étroit ; & il ne lui étoit pas même difficile d’augmenter son fourneau & ses vaisseaux, au cas que l’élévation de l’endroit le lui eût permis, pour distiller aussi au bain-sec, au bain marie, & à ceux de vapeurs, de cendres, & de sable.

Il éleve deux murs de briques, fig. 75. à un pié & demi l’un de l’autre. Ils ont aussi un pié & demi de haut, & autant de large ; ainsi le premier étage du fourneau est ouvert par-devant & par-derriere. Il pose sur ces deux murs deux barres de fer en-avant, & autant en-arriere, pour soûtenir les murailles & le sol du second étage. Ces barres, comme on peut juger, ne paroissent qu’en-dessous. Elles sont à la hauteur de O ; on peut toutefois s’en passer en faisant un petit arc de voûte entre les deux murs latéraux, comme on voit dans la partie antérieure du premier corps A. On laisse dans le sol qui sépare le premier du second étage B, un trou circulaire de 4 pouces de diametre, pour passer le col d’un matras descensoire : ensuite on éleve trois murs d’un pié & demi de haut, à angles droits sur les barres O, pour former le second étage. Le devant est ouvert par une grande porte arquée. Sur les murs de ce second étage, on met des barres de fer à un doigt de distance les unes des autres ; c’est ce qu’on voit sous la retor-