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ge de la mer, les sources y apportent l’eau, non du côté de la mer, mais du côté de la terre ; ce qui se voit aux Bermudes.

César, dans le siége d’Alexandrie, ayant fait creuser des puits sur le bord de la mer, ils se remplirent d’eau douce. Hirt. Pans. comment. cap. jx.

Cette correspondance des couches s’est fait sentir à une très-grande distance. M. Perrault rapporte (traité de l’origine des fontaines, p. 271.) un fait très-propre à en convaincre. Il y avoit deux sources dans un pré, éloignées l’une de l’autre d’environ cent toises. Comme on vouloit conduire leurs eaux dans un canal au bas d’un pré, on fit une tranchée pour recevoir l’eau d’une des deux sources, & la contenir : mais à peine l’eau de cette source fut arrêtée, qu’on vint avertir que l’autre source inférieure à la premiere étoit à sec : on rétablit les choses dans le premier état, & l’eau reparut à cette source. Enfin on remarqua ces effets plusieurs fois ; & l’eau de la source inférieure étoit aussi régulierement assujettie à l’état de la source supérieure, que si elle s’y fût rendue par un tuyau de conduit fait exprès : de même, il y a des communications aussi sensibles des montagnes entr’elles.

Les eaux des vallons ou des plaines s’élevent ordinairement par un canal naturel, & franchissent des collines & des montagnes assez élevées, si une des jambes du siphon renversé, dont la courbure est dans les vallons qui séparent les montagnes, se trouve adossée le long d’une croupe plus élevée que les autres, & qui fournisse des eaux en assez grande abondance pour donner une impulsion successive aux eaux qui remplissent les couches courbées en siphon. La fontaine entretenue par ce méchanisme, paroîtra sur les revers de quelques collines où les couches souffriront interruption.

On conçoit ainsi que les réservoirs des fontaines ne sont pas toûjours des amas d’eaux rassemblées dans une caverne dont la capacité seroit immense, vû la grande dépense de certaines sources. Il seroit à craindre que ces eaux forçant leurs cloisons, ne s’échappassent au-dehors par des inondations subites, comme cela est arrivé dans les Pyrénées on 1678. Voyez Inondation. L’eau d’ailleurs se trouvant distribuée le long de certaines couches propres à la contenir, coulant en conséquence d’une impulsion douce qui en ménage la sortie, & en vertu de l’étendue des branches de ces aqueducs qui recueillent les eaux, il n’est pas difficile de concevoir comment certaines sources peuvent en verser une si grande quantité ; & cette distribution qui demande quelque tems pour s’exécuter, contribue à la continuité de l’écoulement des rivieres.

Ces canaux soûterreins sont d’une certaine résistance, & des eaux peuvent se faire sentir contre leurs parois avec une force capable d’y produire des crevasses. On doit sur-tout ménager leur effort ; car souvent par des imprudences on force les canaux dans des endroits foibles, en retenant les eaux des fontaines ; & ces interruptions en ouvrant un passage à l’eau, diminuent d’autant la principale fontaine vers laquelle ce petit canal entr’ouvert portoit ses eaux, ou souvent font disparoître une source entiere. Ces effets doivent rendre circonspects ceux qui sont chargés de la conduite des eaux. On en a vû des exemples en plusieurs endroits. Je puis en citer un fort remarquable. La fontaine de Soulaines dont j’ai parlé ci-devant, dépose dans son bassin des terres fort compactes qui la teignent d’une couleur jaune, après les pluies abondantes. Lorsque la masse des dépôts est considérable, on vuide le bassin. Pour expédier cette besogne, les ouvriers imaginerent de jetter ces terres grasses dans l’ouverture de la source, au lieu de les jetter au-dehors ; il s’y fit une

obstruction si complete, que l’eau refoulée dans son aqueduc naturel soûleva à cent pas au-dessus une roche fort épaisse, & s’extravasa par cette ouverture en laissant le bassin de la fontaine à sec. On n’a pû l’y faire rentrer qu’en couvrant d’une masse de maçonnerie cette large ouverture, & laissant un puits d’environ 15 piés de diametre, dont on a élevé les bords au-dessus des murs de la fontaine. Malgré cette précaution, l’eau sort par ce puits, & entre-ouvre la maçonnerie qui menace ruine dans les grandes eaux. Ces effets sont une suite du parti que l’on a pris d’élever l’eau dans le bassin de la fontaine, pour le service des moulins qui sont construits sur un côté de son bassin ; ce qui tient la source dans un état forcé.

De toute cette doctrine, nous tirerons quelques conséquences que l’expérience confirme.

1°. Ce n’est point en traversant l’épaisseur des couches de la terre & en les imbibant totalement, que l’eau pluviale pénetre dans les conduits & les réservoirs qui la contiennent, pour fournir aux écoulemens successifs : ainsi les faits qu’on allegue contre la pénétration, ne détruisent que la premiere maniere, & ne donnent aucune atteinte à la seconde.

2°. C’est dans les montagnes ou dans les gorges formées par les vallons, que se trouvent le plus ordinairement les sources ; parce que les conduits & les couches qui contiennent les eaux, s’épanoüissent sur les croupes des montagnes pour les recueillir, & se réunissent dans les culs-de-sac pour les verser.

3°. Les fontaines nous paroissent en conséquence de cette observation, occuper une position intermédiaire entre les montagnes ou collines qui reçoivent & versent les eaux dans les couches organisées, & entre les plaines qui présentent aux eaux un lit & une pente facile pour leur distribution réguliere. Quinte-Curce remarque (lib. VII. cap. iij.) que tous les sommets des montagnes se contiennent dans toute l’Asie par des chaînes alongées, d’où tous les fleuves se précipitent ou dans la mer Caspienne, &c. ou dans l’Océan indien. On ne peut objecter les sources du Don ou Tanais & du Danube près d’Eschinging, qui sont dans des plaines : car qu’est-ce que cette derniere source en comparaison de toutes celles qui se jettent dans le Danube, tant des montagnes de la Hongrie, que du prolongement des Alpes vers le Tirol ? & de même les Cordelieres donnent naissance à plusieurs sources qui se jettent dans la riviere des Amazones, en suivant la pente du terrein : les autres qui sont sur les croupes occidentales, se jettent dans la mer du Sud. Il y a sur le globe des points de distribution ; en Europe au mont Saint-Gothar ; vers Langres en Champagne, &c. Voyez Source.

4°. Si l’on voit quelquefois des sources dans des lieux élevés, & même au haut des montagnes, elles doivent venir de lieux encore plus élevés, & avoir été conduites par des lits de glaise ou de terre argilleuse, comme par des canaux naturels. Il faut faire attention à ce méchanisme, lorsqu’on veut évaluer la surface d’un terrein qui peut fournir de l’eau à une source ; on est quelquefois trompé par les apparences. M. Mariotte observe que dans un certain point de vûe une montagne près de Dijon sembloit commander aux environs ; mais dans un autre aspect il découvrit une grande étendue de terrein qui pouvoit y verser ses eaux. Voilà la seule réponse que nous ferons à ceux qui alleguent des observations faites par des voyageurs sur des montagnes élevées. Il n’est pas étonnant que les voyageurs ayent pû découvrir, en passant leur chemin, d’où des sources abondantes tiroient leurs eaux. Si entre une montagne du haut de laquelle il part une source, & une autre montagne plus élevée qui doit fournir de l’eau, il y a un vallon, il faut imaginer la source comme