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abondante, & qu’on répete plus souvent que dans l’état naturel, sans néanmoins que la santé en soit dérangée : ils nomment pseudorexie, une fausse faim, telle qu’on en a quelquefois dans les maladies aiguës & chroniques : ils appellent pica ou malacie, le goût dépravé des femmes enceintes, des filles attaquées des pâles couleurs, &c. pour des alimens bisarres. Voyez Faim, Orexie, Pseudorexie, Malacie

Mais la cynorexie, ou la faim canine, est cette maladie dans laquelle on éprouve une faim vorace, & néanmoins l’on vomit les alimens qu’on prend pour la satisfaire ; ainsi qu’il arrive aux chiens qui ont trop mangé. C’est en cela d’abord que la faim canine differe de la boulimie, qui n’est point suivie de vomissemens, mais d’oppression de l’estomac, de difficulté de respirer, de foiblesse de pouls, de froid & de défaillances.

Erasistrate est le premier qui ait employé le mot de boulimie, & son étymologie indique le caractere de cette affection, qui vient proprement du grand froid qui resserre l’estomac, suivant la remarque de Joseph Scaliger ; car βοῦ, dit-il, apud Græcos intendit ; ut βούλιμος & βουλιμία, ingens fames à refrigeratione ventriculi contracta ; sic apud Latinos particula ve intendit, ut in voce vehemens, & aliis.

En effet, la boulimie arrive principalement aux voyageurs dans les pays froids, & par conséquent elle est occasionnée par la froideur de l’air qui les saisit, ou plûtôt par les corpuscules frigorifiques qui resserrent les poumons & le ventricule. Cette idée s’accorde avec le rapport des personnes qui ont éprouvé les effets de cette maladie dans la nouvelle Zemble & autres régions septentrionales. Fromundus qui en a été attaqué lui-même, croit que le meilleur remede seroit de se procurer une forte toux, pour décharger l’estomac & les poumons des esprits de la neige, qui ont été attirés dans ces organes par la respiration, ou qui s’y sont insinués d’une autre maniere. C’est dommage que le conseil de ce medecin tende à procurer un mal pour en guérir un autre ; car d’ailleurs son idée de la cure est très-ingénieuse. Le plus sûr, ce me semble, seroit de bonnes frictions, la boisson abondante des liquides chauds & aromatiques, propres à exciter une grande transpiration ; & de recourir en même tems aux choses dont l’odeur est propre à rappeller & à rassembler les esprits vitaux dissipés, tel qu’est en particulier le pain chaud trempé dans du vin, & autres remedes semblables. Il résulte de cet exposé, que la boulimie doit être un accident fort rare dans nos climats tempérés, & qu’elle differe essentiellement de la faim canine par les causes & les symptomes.

Dans la faim canine les alimens surchargeant bientôt l’estomac, le malade qui n’a pû s’empêcher de les prendre, est contraint de les rejetter. Comme ce vomissement apporte quelque soulagement, l’appétit revient ; & cet appétit n’est pas plûtôt satisfait que le vomissement se renouvelle : ainsi l’appétit succede au vomissement, & le vomissement à l’appétit.

Entre plusieurs exemples de cette maladie, je n’en ai point lû de plus incroyable que celui qui est rapporté dans les Trans. philas. n°. 476. pag. 366. & 381. Un jeune homme, à la suite de la fievre, eut cette faim portée à un tel degré, qu’elle le fit dévorer plus de deux cents livres d’alimens en six jours ; mais il n’en fut pas mieux nourri, car il les rejetta perpétuellement, sans qu’il en passât rien dans les intestins : desorte qu’il perdit l’usage de ses jambes, & mourut peu de mois après dans une maigreur effroyable.

Les autres malades de faim canine dont il est parlé dans les annales de la Medecine, ne sont pas de cette voracité ; mais ils nous offrent des causes si diversi-

fiées de la maladie, qu’il est très-important, quand le cas se présente, de tâcher, pour la cure, de les découvrir par les symptomes qui précedent ce mal, qui l’accompagnent & qui lui succedent. Or la faim canine tire sa naissance de plusieurs causes : elle peut provenir de vers, & en particulier du ver nommé le solitaire ; d’humeurs vicieuses, acides, acres, muriatiques, qui picotent le ventricule ; d’une bile rongeante qui s’y jette ; du relâchement de l’estomac, de son échauffement, de la trop grande sensibilité des nerfs & des esprits. On soupçonne qu’il y a des vers, par les symptomes qui leur sont propres : la vûe des évacuations sert à indiquer la nature des humeurs viciées ; l’abondance de la bile paroît par la jaunisse répandue dans tout le corps ; la mobilité des esprits se rencontre toûjours dans les personnes faméliques, qui sont attaquées en même tems d’hystérisme ou qui sont hypocondres ; le défaut de nutrition se manifeste par la maigreur du malade, & ce symptome rend son état vraiment dangereux : car lorsque le vomissement ou le flux de ventre sont obstinés, la cachexie, l’hydropisie, la lienterie, l’atrophie, & finalement la mort, en sont les suites.

La méthode curative doit se varier suivant les diverses causes-connues du mal. Si la faim canine est produite par une humeur acre quelconque qui irrite l’estomac, il faut l’évacuer, en corriger l’acrimonie, & rétablir ensuite par les fortifians le ton de l’estomac, & des organes qui servent à la digestion. Les vers se détruiront par des vermifuges, & principalement par les mercuriels. Dans la chaleur des visceres on conseillera les adoucissans & les humectans ; dans le cas de la mobilité des esprits, on employera les narcotiques. On pourroit appliquer extérieurement sur toute la région de l’estomac, les linimens & les emplâtres opposés aux causes du mal. La faim canine qui procede du défaut de conformation dans les organes, comme de la trop grande capacité de l’estomac, de l’insertion du canal cholidoque dans ce viscere, de la briéveté des intestins, en un mot, de quelque vice de conformation, ne peut être détruite par aucune méthode medicinale : mais ce sont des cas rares, & qui n’ont ordinairement aucune fâcheuse suite. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Faim canine, (Maréchall.) Ce sentiment intime & secret qui nous avertit de nos besoins, ce vif penchant à les satisfaire ; cet instinct qui, quoiqu’aveugle, nous détermine précisément au choix des choses qui nous conviennent ; toutes ces perceptions, en un mot, agréables ou fâcheuses qui nous portent à fuir ou à rechercher machinalement ce qui tend à la conservation de notre être, ou ce qui peut en hâter la destruction, sont absolument communes à l’homme & à l’animal : la Nature a accordé à l’un & à l’autre des sens internes & externes ; elle les a également assujettis à la faim, à la soif, aux mêmes nécessités.

L’estomac étant vuide d’alimens, les membranes qui constituent ce sac, sont affaissées & repliées en sens divers : dans cet état, elles opposent un obstacle à la liberté du cours du sang dans les vaisseaux qui les parcourent. De la lenteur de la marche de ce fluide résulte le gonflement des canaux, qui dès-lors sont sollicités à des oscillations plus fortes ; & de ces oscillations augmentées naissent une irritation dans les houppes nerveuses, un sentiment d’inquiétude, qui ne cesse que lorsque le ventricule distendu, les tuyaux sanguins se trouvent dans une direction propre à favoriser la circulation du fluide qu’ils charrient. Les restes acrimonieux des matieres dissoutes dans ce viscere, ainsi que l’action des liqueurs qui y sont filtrées, contribuent & peuvent même donner, lieu à une sensation semblable. Dès que leurs sels