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depuis retiré chez les Anglicans, dont il a épousé presque toutes les erreurs. Il qualifie le livre de la Perpétuité de la foi, qui contient ces raisonnemens & beaucoup d’autres semblables, de Triomphe de la dialectique sur la raison. C’est au lecteur à juger de la justesse de cette application.

II. A la chaîne de tradition qu’on leur oppose, les Protestans objectent qu’il n’y a point ou presque point de pere qui n’ait déposé en faveur du sens figuratif & métaphorique, & qui n’ait dit que l’eucharistie même après la consécration, est figure, signe, antitype, symbole, pain, & vin. Mais toutes ces chicanes que les Calvinistes ont rebattues en mille manieres, se détruisent aisément par cette seule solution ; que l’eucharistie étant composée de deux parties, l’une extérieure & sensible, l’autre intérieure & intelligible, il n’est pas étonnant que les peres se servent souvent d’expressions qui ne conviennent à ce sacrement que selon ce qu’il a d’extérieur ; comme on dit une infinité de choses des hommes, qui ne leur conviennent que selon leurs vêtemens. Ainsi l’eucharistie étant tout-à-la-fois, quoique sous différens rapports, figure & vérité, image & réalité, les peres ne laissent pas de donner aux symboles, même après la consécration, les noms de pain & de vin, & ceux d’image & de figure ; puisque d’un côté les noms suivant ordinairement l’apparence extérieure & sensible, la nature du langage reçû parmi les hommes nous porte à ne les pas changer, lorsque ces apparences ne sont pas changées ; & que de l’autre, par les mots d’image & de figure, ils n’entendent point une image & une figure vuide, mais une figure & une image qui contiennent réellement ce qu’elles représentent. En effet, quand les peres s’expliquent sur la partie intérieure & intelligible de l’eucharistie, c’est-à-dire sur l’essence & la nature du sacrement, ils s’expriment d’une maniere si nette & si précise, qu’ils ne laissent aucun lieu de douter qu’ils n’ayent admis la présence réelle. Ils enseignent, par exemple, que les symboles ayant été consacrés & faits eucharistie par les prieres que le Verbe de Dieu nous a enseignées, sont la chair & le sang de ce même Jesus-Christ qui a été fait homme pour l’amour de nous. S. Justin, ij. apologie. Que l’agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, est présent sur la table sacrée ; qu’il est immolé par les prêtres sans effusion de sang, & que nous prenons véritablement son précieux corps & son précieux sang. Gelase de Cyzique, d’après le premier concile de Nicée. Que Jesus-Christ ayant dit du pain, ceci est mon corps ; qui osera en douter desormais ? & lui-même ayant dit, ceci est mon sang ; qui oseroit en entrer en doute, en disant que ce n’est pas son sang ? Il a autrefois changé l’eau en vin en Cana de Galilée ; pourquoi ne mériterait-il pas d’être crû, quand il change le vin en son sang ? S. Cyrille de Jérusalem, catech. jv. Que par la parole de Dieu & l’oraison, le pain est changé tout-d’un-coup au corps du Verbe par le Verbe, selon ce qui a été dit par le Verbe même : ceci est mon corps. S. Grég. de Nyss. orat. catech. Que le créateur & le maître de la nature, qui produit du pain de la terre, fait ensuite son propre corps de ce pain ; parce qu’il le peut & l’a promis : & celui qui de l’eau a fait du vin, fait aussi du vin son sang. S. Gaudence évêque de Brescia, in Exod. tract. ij. Que le saint-Esprit fait que le pain commun proposé sur la table, devient le propre corps que Jesus-Christ a pris dans son incarnation. S. Isidore de Damiete, ép. cjx. Que l’eucharistie est le corps & le sang du Seigneur, même pour ceux qui le mangeant indignement, mangent & boivent leur jugement. S. August. liv. V. du baptême contre les Donatistes, chap. viij. Que nous croyons que le corps qui est devant nous, n’est pas le corps d’un homme commun & semblable à nous, & le sang de même ; mais que nous le recevons comme ayant été fait le propre corps & le propre sang du Verbe qui vivifie toutes

choses. S. Cyrille d’Alexandrie, explicat. du ij. de ses anathem. Que le prêtre invisible (J. C.) change par une puissance secrete les créatures visibles en la substance de son corps & de son sang, en disant : prenez & mangez, ceci est mon corps. S. Eucher ou S. Cesaire, homél. v. sur la pâque. Que le saint-Esprit étant invisiblement présent par le bon plaisir du Pere & la volonté du Fils, fait cette divine opération ; & par la main du prêtre il consacre, change, & fait les dons proposés (c’est-à-dire le pain & le vin), le corps & le sang de Jesus-Christ. Germain patriarche de Constantinople, dans sa théorie des mysteres. Que le pain & le vin ne sont point figures du corps & du sang de Jesus-Christ, mais que c’est le corps même déifie de Jesus-Christ ; Notre Seigneur ne nous ayant pas dit, ceci est la figure de mon corps, mais ceci est mon corps ; & n’ayant pas dit de même, ceci est la figure de mon sang, mais ceci est mon sang. S. Jean de Damas, de la foi orthod, lib. IV. chap. xjv. Il ne seroit pas difficile d’accumuler de pareils passages des peres, des conciles, des auteurs ecclésiastiques, & des théologiens, jusqu’au xvj. siecle, pour former une suite de tradition constante, & de montrer que tous ont pensé que les symboles sont changés, transmués, transélémentés, transsubstantiés au corps & au sang de Jesus-Christ. Dire après cela que ces peres & ces écrivains n’ont parlé que par métaphore, ou, comme l’auteur que nous avons cité ci-dessus, qu’il n’y a aucun de ces passages sur lequel on ne puisse disputer ; c’est plûtôt aimer la dispute, que se proposer la recherche de la vérité, & contester qu’il fasse clair en plein jour. La doctrine & le langage des peres sur la présence réelle, ne peuvent paroître équivoques qu’à des esprits prévenus & déterminés à trouver des figures dans les discours les plus simples.

Les ministres calvinistes ne l’ont que trop bien senti ; & pour éluder le poids d’une pareille autorité, ils ont imaginé différens systèmes qui tendent tous à prouver que la créance de la présence réelle n’a pas été la foi de la primitive église & de l’antiquité. Les uns, comme Blondel dans son éclaircissement sur l’eucharistie, ont fait naître l’opinion de la transsubstantiation long-tems après Berenger : les autres, comme Aubertin, le ministre de la Roque, & M. Basnage, ont remonté jusqu’au vij. siecle, où ils ont prétendu que contre la foi des six premiers siecles, Anastase religieux du mont Sinaï, avoit enseigné le premier que ce que nous recevons dans l’eucharistie n’est pas l’antitype, mais le corps de Jesus-Christ ; que cette innovation fut embrassée par Germain patriarche de Constantinople en 720, par S. Jean de Damas en 740, par les peres du ij. concile de Nicée en 787, par Nicéphore patriarche de Constantinople en 806 ; que le même langage passa d’orient en occident, comme il paroît par les livres que Charlemagne fit faire au concile de Francfort en 794. Pour sentir l’absurdité de ce système, il suffit de se rappeller que depuis S. Ignace le martyr & S. Justin, tous les peres grecs dont nous avons cité quelques-uns, avoient enseigné constamment que l’eucharistie étoit le vrai corps & le vrai sang de Jesus-Christ ; que l’orient étoit plein des ouvrages de ces peres, & des liturgies de S. Basile & de S. Chrysostome, où la présence réelle est si clairement énoncée. Anastase le Sinaïte n’a donc rien innové en tenant précisément le même langage que les auteurs qui l’avoient précédé.

Quant à l’occident, Aubertin oubliant qu’il a attribué à un concile nombreux & célebre, tel que celui de Francfort, l’introduction du dogme de la présence réelle, lui donne une origine encore plus récente. Il prétend que Paschase Ratbert d’abord moine, puis abbé de Corbie, dans un traité du corps & du sang du Seigneur, qu’il composa vers l’an 831,