Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la navigation, soit par des flottes. En effet le premier occupant s’approprie par cela seul & sans supposer aucune convention, tout ce qui n’est à personne. Ainsi la prise de possession est en ce cas, aujourd’hui aussi-bien qu’autrefois, la seule maniere d’acquérir originairement la propriété d’une chose.

On demande, en second lieu, si un souverain, maître d’un détroit, peut avec justice imposer des péages, des tributs, sur les vaisseaux étrangers qui passent par ce bras de mer. Ce péage paroît très-juste, parce que s’il est permis à un prince de tirer du revenu de ses terres, il lui doit être également permis de tirer du revenu de ses eaux. Personne ne peut s’en plaindre, puisqu’il ouvre un passage qui rend la navigation commode, le commerce florissant, & qui fait le profit des nations qui viennent se pourvoir par ce passage du détroit, de diverses choses qui leur sont nécessaires.

Enfin l’on demande si le souverain, maître du détroit, pourroit également imposer des droits de péage à un autre prince, dont les terres confineroient à la côte supérieure & inférieure de ce détroit. L’on répond qu’il le peut également, parce que la position d’un tiers ne sauroit rien diminuer des droits du souverain, premier possesseur du détroit. Dès qu’une fois quelqu’un s’est établi le premier sur un des côtés du détroit, & qu’il a pris possession de tout le détroit, celui qui vient ensuite habiter de l’autre côté, n’est maître que de ses ports & de ses rivages ; de sorte que le premier occupant est fondé à exiger le péage des vaisseaux de l’autre, tout de même que si ce dernier étoit en-deçà ou en-delà du détroit, à moins qu’il ne l’en ait dispensé par quelque convention. En vain le dernier prince établi sur le détroit repliqueroit, pour refuser le droit de passage au premier, que ce seroit se rendre tributaire de l’autre souverain, ou reconnoître sa souveraineté sur les mers dont le détroit est la clé : on lui répondroit qu’il n’est pas réellement par-là plus tributaire du souverain, maître du détroit, qu’un seigneur qui voyage dans les pays étrangers, & qui paye le péage d’une riviere, est tributaire du maître de la riviere : on lui attribue par ce payement, la souveraineté sur tout ce qui est au-delà de cette riviere. Mais le lecteur curieux d’approfondir ce sujet, le trouvera savamment discuté dans les œuvres de M. Bynkershoek, imprimées à Utrecht en 1730, in-4°. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

DETTE, s. f. (Jurispr.) ce terme pris dans son véritable sens, signifie ce que l’on doit à quelqu’un. Néanmoins on entend aussi quelquefois par-là ce qui nous est dû, & que l’on appelle plus régulierement une créance. Pour éviter cette confusion, on distingue ordinairement les dettes actives des dettes passives. Voyez l’explication de ces deux termes ci-après en leur rang.

Tous ceux qui peuvent s’obliger, peuvent contracter des dettes ; d’où il suit par un argument à sens contraire, que ceux qui ne peuvent pas s’obliger valablement, ne peuvent aussi contracter des dettes : ainsi les mineurs non-émancipés, les fils de famille, les femmes en puissance de mari, ne peuvent contracter aucune dette sans l’autorisation de ceux sous la puissance desquels ils sont.

Personne ne peut contracter valablement des dettes sans cause légitime ; il faut même de plus à l’égard des communautés, qu’il y ait de leur part une nécessité d’emprunter ou de s’obliger autrement ; parce qu’elles sont comme les mineurs, qui ne sont pas maîtres de détériorer leur condition.

On peut contracter des dettes verbalement & par toutes sortes d’actes, comme par billet ou obligation, sentence ou autre jugement, & même tacitement,

comme quand on est obligé en vertu de la loi, d’un quasi-contrat, ou d’un délit ou quasi-délit.

Les causes pour lesquelles on peut contracter des dettes, sont tous les objets pour lesquels on peut s’obliger, comme pour alimens, pour argent prété, pour vente, ou loüage de meubles, pour ouvrages faits, pour vente d’un fonds, d’une charge, pour arrérages de rente, doüaire, légitime, soute de partage, &c.

Le créancier pour obtenir le payement de sa dette, a différentes sortes d’actions, selon la nature de la dette & du contrat, & selon les personnes contre lesquelles il agit. Il a action personnelle contre l’obligé ou ses héritiers, hypothécaire contre le tiers détenteur d’un héritage hypothéqué à la dette, & en certain cas il a une action mixte. Voyez Action & Obligation.

Les dettes s’acquittent ou s’éteignent en plusieurs manieres ; savoir 1° par le payement, qui est la façon la plus naturelle de les acquitter ; 2° par compensation d’une dette avec une autre ; 3° par la remise volontaire que fait le créancier ; 4° par la confusion qui se fait des qualités de créancier & de débiteur, en une même personne ; 5° par fin de non-recevoir, ou prescription ; 6° par la décharge que le débiteur obtient en justice.

Dette active, est la dette considérée par rapport au créancier, ou pour mieux dire, c’est la créance. Le terme de dette active est opposé à dette passive, qui est la dette proprement dite, considérée par rapport au débiteur.

Dette ancienne, en matiere d’hypotheque, est celle qui précede les autres ; & en matiere de subrogation, c’est celle à laquelle le nouveau créancier est subrogé. En Normandie, dette ancienne signifie celle qui est antérieure à l’acquisition du tiers acquéreur. Voyez l’article 585 de la coût. de Norm.

Dette annuelle, est celle qui se renouvelle chaque année, comme une rente, une pension, un legs d’une somme payable chaque année ; ce qui est appellé en Droit, debitum quot annis.

Dette caduque, est celle qui est de nulle valeur, & pour le payement de laquelle on n’a aucune espérance.

Dette chirographaire : on appelle ainsi celle qui est contractée par un écrit sous seing privé, qui n’emporte point d’hypotheque. Voyez Chirographaire.

Dette civile, est toute dette ordinaire qui n’est point pour fait de commerce, ni pour condamnations en matiere criminelle. Voyez ci après Dette consulaire.

Dette claire, est celle dont l’objet est certain ; on ajoûte ordinairement & liquide, qui signifie que le montant de la créance est fixe & connu.

Dette de communauté, est celle qui est contractée pendant la communauté de biens entre mari & femme, & pour le compte de la communauté. Voyez Communauté.

Dette commune, est celle qui est à la charge de plusieurs personnes, comme une dette de communauté, une dette de succession, lorsqu’il y a plusieurs héritiers.

Dette conditionnelle, est celle qui est dûe sous condition ; par exemple, si navis ex Asiâ venerit ; elle est opposée à dette pure & simple, qui ne dépend d’aucun évenement.

Dette confuse, est celle dont le droit réside en quelqu’un qui se trouve tout à la fois créancier & débiteur du même objet.

Dette consulaire, s’entend de celle qui rend le débiteur justiciable des consuls, & qui emporte conséquemment contre lui la contrainte par corps.

Telles sont toutes les dettes créées entre marchands & négocians, banquiers, agens de change, traitans,