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sont depuis long-tems en possession des secours les plus rafinés de cette espece, & qu’enfin il en est dérivé chez les habitans de nos campagnes, & chez les gens du peuple dans nos villes, comme autant de médecines domestiques qui ne sont pas sans succès, & dont la tradition s’est conservée religieusement dans sa pureté originale à travers les générations & les siecles.

Il est tems maintenant de proposer quelques réflexions sur l’action & les effets des vésicatoires qui éclairent plus immédiatement les principaux phénomenes pratique, de cette médecine ; nous choisirons pour cet effet les ouvrages d’Hippocrate, & ceux de quelques autres médecins qui l’ont suivi dans ses principes & dans sa pratique, comme les plus propres à nous fournir les lumieres les plus pures & les plus étendues sur cette matiere ; ainsi donc apres avoir déja parlé du goût de ce pere de la médecine pour les épispastiques, il nous paroît à propos d’ajouter qu’il ne faudroit pas croire que toutes les connoissances qu’il avoit acquises sur l’administration des remedes, il les tint uniquement d’un empirisme froid & borné, mais qu’il les devoit encore aux élans d’un génie vraiment philosophique, rectifiés par tout ce que peuvent donner de sagacité une expérience consommée, & l’habitude de méditer profondément sur la nature. Voici par exemple une des maximes de ce grand homme la plus capable de nous découvrir le point d’où il est parti, & de nous faire pénétrer ultérieurement dans ses vues ; il dit en parlant du traitement des maladies de la poitrine : pars verò ex carne per medicamenta & potiones deffunditur, & per calefactoria extrinsecus admota, adeò ut morbus per totum corpus spargatur. Voy. liv. I. de mor. sect. 5. pag. 459. Foezi is : c’est-à-dire qu’Hippocrate pensoit que lorsque la maladie est fixée dans un organe, il convient pour l’emmener à guérison de la répandre dans toutes les parties du corps, soit par l’usage des remedes internes, soit par l’application des épispastiques. Celse a dit encore dans le même sens, atque interdùm natura quoque adjuvat, si ex angustiore sede vitium transit in latiorem. Voy. de fauc. morb. cap. IV.

Cette intention de généraliser la maladie, d’en affoiblir le foyer en l’étendant ou le distribuant sur tous les organes, est peut-être le plus beau canon pratique que nous ayons en médecine. Le grand point est de savoir la maniere dont Hippocrate concevoit cette distribution : il est clair qu’il étoit en cela inspiré par tout ce qu’il connoissoit des propriétés de l’intelligence active & subtile qui préside aux fonctions de l’animal, & qu’il appelloit nature ou principe, & par tout ce qui lui revenoit de son expérience journaliere. Il savoit en premier lieu que cette intelligence s’étoit originairement tracée dans le corps un cercle d’opérations dans lequel elle se mouvoit en portant sur tous les points du cercle le sentiment & la vie, & jettant des filets de communication dans les intervalles d’un point à l’autre, ensorte que la maladie pouvoit être regardée comme un obstacle, un nœud qui arrêtoit ce période d’opérations, & qu’il n’étoit question pour le rétablir que de rappeller le principe sur tous les points de la sphere. Or c’est ce qu’on obtient toutes les fois que l’activité ou les forces du principe augmentent assez pour vaincre ou résoudre l’obstacle ; mais en quoi consiste cette augmentation des forces de la nature ? dans la fievre. C’est ainsi que suivant notre auteur & l’observation de tous les siecles, la fievre résout le spasme, febris spasmum solvit ; ainsi la douleur qui n’est peut-être qu’un spasme plus ramassé ou plus concentré, est détruite par le même agent, quibus jecur vehementer dolet, iis succedens febris dolorem solvit, Aphor. liv VII. pag. 160. Maintenant la fievre peut être ou spontanée, ou artificielle : la premiere doit être entiérement

sur le compte de la nature, ou de son autocratie ; la seconde est un produit de l’art. Cet art, Hippocrate né pour le former, en varioit à l’infini les ressources au moyen des deux épispastiques universels ; savoir, la douleur & la chaleur. Il avoit remarqué que le plus souvent là où il y a douleur, il y a maladie, ubi dolor, ibi morbus, qu’une douleur plus forte l’emportoit sur une moindre, que la douleur attiroit & fixoit la maladie sur l’endroit douloureux ; « car, dit-il, si avant que la maladie soit déclarée on a senti de la douleur dans une partie, c’est-là même que la maladie se fixera ». Il croyoit donc que la douleur disposoit la partie à appeller & à se charger de la maladie, par conséquent qu’une douleur produite par art, plus vive que la naturelle, en diminuant ou anéantissant celle-ci, étoit capable de faire tout-au-moins une diversion salutaire, un déplacement de la maladie, laquelle, chemin faisant, s’il est permis d’ainsi parler, pouvoit encore être altérée ça & là par les différens organes, & devenir par ce moyen générale. A l’égard de la chaleur, il avoit également éprouvé que la chaleur attire ; cela est par tout dans ses ouvrages. Le pan quò calet attrahit y revient à chaque page ; il dit plus expressément encore au sujet de la vertu attractive ou attirante communiquée par la chaleur aux parties, membrum per caliditatem trahit ad seipsum à vicinis venis ac carnibus pituitam ac bilem, lib. I. de morb. Il savoit encore que la chaleur portée à un certain degré, produisoit la douleur ; & quant à ces attractions d’humeurs, il les expliquoit par l’énergie & la mobilité du grand principe, qui, suivant l’axiome si connu, se porte d’une extrémité du corps à l’autre extrémité, &c. D’un autre côté, il étoit le témoin infatigable des guérisons imprévues qu’opéroit la nature par des éruptions cutanées, des parotides, des ulceres actuellement suppurans, &c. C’étoit donc par une analogie toute simple qu’Hippocrate étoit conduit à employer les dolorifiques & les échauffans externes pour réveiller ou pour rappeller la nature lorsqu’elle s’engourdissoit, ou qu’elle ne pouvoit plus suffire elle-même. Tel est à-peu-près le plan général de la conduite d’Hippocrate dans l’usage des vésicatoires, qu’il ne faut jamais perdre de vue dans l’estimation rationelle de ces remedes. Ainsi donc en résumant ce qui vient d’être dit, il est un principe qui anime le corps. Les épispastiques sont deux ; savoir, la douleur & la chaleur ; ils sont universels & absolus ; la douleur se décompose en faveur de l’art en une infinité d’intermédiaires qui peuvent être autant d’épispastiques depuis la douleur positive ou absolue jusqu’au sentiment le plus voisin du plaisir. L’art trouve les mêmes ressources dans la chaleur dont les nuances depuis la plus légere fievre jusqu’au feu destructif, forment une série des mêmes remedes. La douleur & la chaleur sont des modifications du grand principe qui a son siege dans les nerfs dont il est l’élément sensitif, comme les autres particules de matieres en sont les élémens physiques. La douleur & la chaleur se produisent & se détruisent mutuellement. Les vésicatoires ne sont que les agens excitatifs du grand principe ; car la cause efficiente de la chaleur & de la douleur est en nous comme le sentiment des couleurs est en nous ; au moyen de cette vertu communicative, l’action de la chaleur & de la douleur peut s’étendre d’un point de la surface du corps à tout le grand principe, comme l’embrasement peut arriver à toute une masse combustible par une étincelle. C’est encore une fois sous cet assemblage d’idées sublimes qu’on peut se représenter le génie d’Hippocrate occupé de la médecine épispastique, en dirigeant toutes les branches & en mouvant tous les ressorts. Maintenant avec l’avance de ces préceptes élémentaires, il est bien facile de concevoir que l’action des vésicatoires sur les corps,