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dans la terre, c’est quelque changement qui se fait dans son coloris, ou, si l’on veut, dans son teint, qui montre qu’elle est vieille. La même chose arrive au marbre & à l’ivoire, mais plus promptement, parce que le vernis empêche l’humidité de s’insinuer aisément dans la porcelaine.

Il n’y a rien de particulier dans le travail de ceux qui tâchent d’imiter les anciennes porcelaines, sinon qu’on leur met pour vernis une huile faite de pierre jaune qu’on mêle avec de l’huile ordinaire, ensorte que cette derniere domine : ce mélange donne à la porcelaine la couleur d’un verd de mer. Quand elle a été cuite, on la jette dans un bouillon très-gras fait de chapon & d’autres viandes ; elle s’y cuit une seconde fois, après quoi on la met dans un égoût le plus bourbeux qui se puisse trouver, où on la laisse un mois & davantage. Au sortir de cet égoût, elle passe pour être de trois ou quatre cens ans, ou du moins de la dynastie précédente de Ming, sous laquelle les porcelaines de cette couleur & de cette épaisseur étoient estimées à la cour. Ces fausses antiques sont encore semblables aux véritables, en ce que lorsqu’on les frappe elles ne résonnent point, & que si on les applique auprès de l’oreille, il ne s’y fait aucun bourdonnement.

Parallele de la porcelaine avec le verre. On est presqu’aussi curieux à la Chine des verres & des crystaux qui viennent d’Europe, qu’on l’est en Europe des porcelaines de la Chine ; cependant quelqu’estime qu’en fassent les Chinois, ils n’en sont pas venus encore jusqu’à traverser les mers pour chercher du verre en Europe ; ils trouvent que leur porcelaine est plus d’usage : elle souffre les liqueurs chaudes ; on peut même sans anse tenir une tasse de thé bouillant sans se brûler, si on la sait prendre à la chinoise, ce qu’on ne peut pas faire même avec une tasse d’argent de la même épaisseur & de la même figure. La porcelaine a son éclat ainsi que le verre ; & si elle est moins transparente, elle est aussi moins fragile. Ce qui arrive au verre qui est fait tout récemment, arrive pareillement à la porcelaine ; rien ne marque mieux une constitution de parties à-peu-près semblables : la bonne porcelaine a son clair comme le verre ; si le verre se taille avec le diamant, on se sert aussi du diamant pour réunir ensemble & coudre en quelque sorte des pieces de porcelaine cassée ; c’est même un métier à la Chine : on y voit des ouvriers uniquement occupés à remettre dans leur place des pieces brisées ; ils se servent du diamant comme d’une aiguille, pour faire de petits trous au corps de la porcelaine, où ils entrelacent un fil de laiton très-délié, & par-là ils mettent la porcelaine en état de servir, sans qu’on s’apperçoive presque de l’endroit où elle a été cassée.

Usage des débris de la porcelaine. On a dit dans ce mémoire qu’il peut y avoir trois mille fourneaux à King te tching ; que ces fourneaux se remplissent de caisses & de porcelaine ; que ces caisses ne peuvent servir au plus que trois ou quatre fournées, & que souvent toute une fournée est perdue. Il est naturel qu’on demande ce que deviennent depuis treize cens ans tous ces débris de porcelaines & de fourneaux ; ils servent d’un côté aux murailles des édifices de King te tching, & les morceaux inutiles se jettent sur le bord de la riviere qui passe au bas de King te tching. Il arrive par-là qu’à la longue on gagne du terrein sur la riviere ; ces décombres humectés par la pluie, & battus par les passans, deviennent d’abord des places propres à tenir le marché, ensuite on en fait des rues. Ainsi la porcelaine brisée sert à agrandir Kingte-tching, qui ne subsiste que par la fabrique de cette poterie ; & tout concourt à lui maintenir ce commerce. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Observations sur l’article précédent. Quoique le nom-

bre des manufactures de porcelaine se soit actuellement

fort multiplié, & que chacune de ces manufactures employe des matieres différentes dont elle fait mystere, & qu’elle regarde comme un secret qui lui est particulier, on peut cependant réduire la porcelaine en général à deux especes ; savoir la porcelaine des Indes, & sous ce nom ou comprend celle qui se fait à la Chine & au Japon ; la seconde espece peut être appellée porcelaine d’Europe, & sous ce nom on comprend toutes les différentes manufactures qui s’en sont établies en Europe, quoique ces deux especes de porcelaine paroissent se ressembler au premier coup-d’œil, & être toutes d’une espece de demi-vitrification, on fera voir qu’elles different beaucoup quant aux matieres dont elles sont composées, & quant aux qualités qu’elles renferment.

La porcelaine des Indes & la porcelaine d’Europe peuvent être regardées toutes deux comme une espece de demi-vitrification ; mais avec la différence que la demi-vitrification de la porcelaine d’Europe peut être rendue complette, c’est-à-dire qu’elle peut devenir totalement verre si on lui donne un feu plus violent, ou qui soit continué plus long-tems ; au lieu que la porcelaine des Indes une fois portée à son degré de cuisson, ne peut plus par la durée du même feu, & même d’un plus violent, être poussée à un plus grand degré de vitrification. L’usage que l’on en a fait en l’employant pour servir de support aux matieres que l’on a exposées au feu des miroirs ardens les plus forts, est une preuve qui paroît ne rien laisser à desirer là-dessus.

Nous n’entrerons point ici dans le détail des différentes matieres dont on se sert pour faire la porcelaine en Europe : chaque manufacture a la sienne, & en fait un grand secret ; tout ce que l’on sait en général, c’est que la base ordinaire des porcelaines d’Europe est une fritte (Voyez Fritte & Verre). Cette fritte est une composition pareille a celle dont on se sert pour faire le verre & le crystal : c’est un mélange d’alkali fixe (on emploie ordinairement la potasse), & de pierres vitrifiables calcinées, comme pierres à fusil, sable blanc, &c. On expose ce mélange sous le four qui sert à cuire la porcelaine, afin que les matieres grasses qu’il peut contenir se brûlent, ce qui le purifie, & qu’il y prenne un commencement de vitrification. Comme cette manipulation est la même que l’on observe pour faire le verre & le crystal, il n’est pas douteux que cette matiere n’en produisît de fort beau & de fort transparent, si l’on venoit à la pousser davantage au feu ; mais comme il ne faut qu’une demi-vitrification pour faire la porcelaine, & que cette composition qui est friable ne pourroit ni se mouler ni se travailler au tour, on la mêle après l’avoir pulvérisée, avec une terre gluante qui retarde le vitrification, & la rend en même tems susceptible de pouvoir être travaillée. C’est dans le choix de cette terre que consiste la grande difficulté de la manipulation des porcelaines d’Europe ; c’est aussi dans le choix de cette terre que consiste le secret des différentes manufactures. Il faut que cette terre soit gluante pour qu’on la puisse travailler ; il faut aussi qu’elle soit blanche après avoir passé par le feu, sans quoi la porcelaine qui en seroit faite ne seroit pas blanche, qualité essentielle sur-tout à ceux qui mettent dessus une couverte ou vernis transparent. Si on mêle cette terre avec la fritte en trop petite dose, la fritte étant une poudre de verre, diminue l’aggrégation de la terre, & produit une pâte courte qui n’a point assez de liaison pour pouvoir être travaillée. Si au contraire on emploie la terre en trop grande dose, la pâte à la vérité se travaille bien ; mais n’y ayant point assez de frite pour lier ensemble dans la fonte toutes les parties de la terre grasse, les ouvrages après la cuisson se mettent en pieces & cassent aussi-tôt qu’on y touche.