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Enfin ce royaume du nord de l’Europe use si mal de sa liberté & du droit qu’il a d’élire ses rois, qu’il semble vouloir consoler par-là les peuples ses voisins, qui ont perdu l’un & l’autre de ces avantages.

Pour achever complettement le tableau de la Pologne, il ne nous reste qu’à crayonner les principaux d’entr’eux qui l’ont gouvernée depuis le vj. siecle jusqu’à ce jour. Dans ce long espace de tems elle compte des chefs intelligens, actifs & laborieux, plus qu’aucun autre état ; & ce n’est pas le hasard qui lui a donné cet avantage, c’est la nature de sa constitution. Dès le xiv. siecle elle a fait ses rois : ce ne sont pas des enfans qui naissent avec la couronne avant que d’avoir des vertus, & qui dans la maturité de l’age peuvent encore sommeiller sur le trône. Un roi de Pologne doit payer de sa personne dans le sénat, dans les dletes, & à la tête des armées. Si l’on n’admire que les vertus guerrieres, la Pologne peut se vanter d’avoir eu de grands princes ; mais si l’on ne veut compter que ceux qui ont voulu la rendre plus heureuse qu’elle ne l’est, il y a beaucoup à rabattre.

Leck la tira des forêts & de la vie errante, pour la fixer & la civiliser. L’Histoire ne nous a pas conservé son caractere, mais on sait en genéral que les fondateurs des empires ont tous eu de la tête & de l’exécution.

Cracus, dans le vij. siecle, leur donna les premieres idées de la justice, en établissant des tribunaux pour décider les différends des particuliers. L’ordre régna où la licence diminuoit. Cracovie idolâtre honora long-tems son tombeau : c’étoit son palladium.

Au jx. siecle, Piast enseigna la vertu en la montrant dans lui même : ce qu’il ne pouvoit obtenir par la force du commandement, il le persuadoit par la raison & par l’exemple. Son regne s’écoula dans la paix, & des barbares commencerent à devenir citoyens.

Dans le x. siecle, Boleslas Chrobri, plein d’entrailles, les accoutuma à regarder leur souverain comme leur pere, & l’obéissance ne leur coûta rien.

Casimir I. fit entrevoir les Sciences & les Lettres dans cette terre sauvage, où elles n’étoient jamais entrées. La culture grossiere qu’on leur donna attendoit des siecles plus favorables pour produire des fruits : ces fruits sont encore bien âpres ; mais le tems qui mûrit tout, achevera peut-être un jour en Pologne ce qu’il a perfectionné en d’autres climats.

Dans le siecle suivant, Casimir II. qui ne fut nommé le juste qu’après l’avoir mérité, commença à protéger les gens de la campagne contre la tyrannie de la noblesse.

Au xiv. siecle, Casimir III. ou Casimir le grand, qu’on appelloit aussi le roi des paysans, voulut les mettre en liberté ; & n’ayant pu y réussir, il demandoit à ces bonnes gens lorsqu’ils venoient se plaindre, s’il n’y avoit chez eux ni pierres ni bâtons pour se defendre. Casimir eut les plus grands succès dans toutes les autres parties du gouvernement. Sous son regne, des villes nouvelles parurent, & servirent de modele pour rebâtir les anciennes. C’est à lui que la Pologne doit le nouveau corps de lois qui la regle encore à-présent. Il fut le dernier des Piast, race qui a régné 528 ans.

Jagellon fit tout ce qu’il voulut avec une nation d’autant plus difficile à gouverner, que sa liberté naissante étoit toujours en garde contre les entreprises de la royauté. Il est étonnant que le trône toujours électif dans sa race, n’en soit pas sorti pendant prés de 400 ans ; tandis qu’ailleurs des couronnes héréditaires passoient à des familles étrangeres. Cela montre combien les événemens trompent la sagesse humaine.

Le fils de Jagellon, Uladislas VI. n’avoit que 10 ans lorsqu’on l’eleva au trône, chose bien singuliere

dans une nation qui pouvoit donner sa couronne à un héros tout formé ; c’est qu’on en appercevoit déja l’ame à-travers les nuages de l’enfance. La république nomma autant de régens qu’il y avoit de provinces, & des Burrhus se chargerent d’instruire l’homme de la nation. Il prit les rênes de l’état à 18 ans ; & en deux ans de regne il égala les grands rois. Il triompha des forces de la maison d’Autriche ; il se fit couronner roi de Hongrie ; il fut le premier roi de Pologne qui osa lutter contre la fortune de l’empire Ottoman. Cette hardiesse lui fut fatale ; il périt à la bataille de Varne, à peine avoit-il 20 ans ; & la Pologne regrettant également l’avenir & le passé, ne versa jamais de pleurs plus amers.

Elle n’essuya bien ses larmes que dans le xvj. siecle, sous le regne de Sigismond I. Ce prince eut un bonheur rare dans la diete d’élection ; il fut nommé roi par acclamation, sans division de suffrages. Une autre faveur de la fortune lui arriva, parce que les grands hommes savent la fixer. Il abattit la puissance d’un ordre religieux qui désoloit la Pologne depuis trois siecles ; je parle des chevaliers teutoniques. Sigismond étoit doué d’une force extraordinaire, qui le faisoit passer pour l’Hercule de son tems ; il brisoit les métaux les plus durs, & il avoit l’ame aussi forte que le corps. Il a vécu 82 ans, presque toujours victorieux, respecté & ménagé par tous les souverains, par Soliman même, qui ne ménageoit rien. Il a peut-être été supérieur à François I. en ce que plus jaloux du bonheur de ses peuples que de sa gloire, il s’appliqua constamment à rendre la nation plus équitable que ses lois, les mœurs plus sociables, les villes plus florissantes, les campagnes plus cultivées, les Arts & les Sciences plus honorés, la religion même plus épurée.

Personne ne lui ressembla plus parmi ses successeurs, qu’Etienne Battori, prince de Transilvanie, à qui la Pologne donna sa couronne, après la fuite d’Henri de Valois. Il se fit une loi de ne distribuer les honneurs & les emplois qu’au mérite ; il réforma les abus qui s’étoient accumulés dans l’administration de la justice ; il entretint le calme au-dedans & au-dehors. Il régna dix ans : c’étoit assez pour sa gloire, pas assez pour la république.

Sigismond III. prince de Suede, lui succéda sans le remplacer ; il n’eut ni les mêmes qualités ni le même bonheur ; il perdit un royaume héréditaire pour gagner une couronne élective ; il laissa enlever à la Pologne, par Gustave-Adolphe, l’une de ses plus belles provinces, la Livonie. Il avoit deux défauts qui causent ordinairement de grands malheurs ; il étoit borné & obstiné.

Casimir V. (Jean) fut le dernier de la race des Jagellons. Rien de plus varié que la fortune de ce prince. Né fils de roi, il ne put résister à l’envie d’être religieux, espece de maladie qui attaque la jeunesse, dit l’abbé de Saint-Pierre, & qu’il appelle la petite vérole de l’esprit. Le pape l’en guérit en le faisant cardinal. Le cardinal se changea en roi ; & après avoir gouverné un royaume, il vint en France pour gouverner des moines. Les deux abbayes que Louis XIV. lui donna, celle de S. Germain-des-Prés & celle de S. Martin de Nevers, devinrent pour lui une subsistance nécessaire, car la Pologne lui refusoit la pension dont elle étoit convenue ; & pendant ce tems-là il y avoit en France des murmures contre un étranger qui venoit ôter le pain aux enfans de la maison. Il voyoit souvent Marie Mignot, cette blanchisseuse que le caprice de la fortune avoit d’abord placée dans le lit d’un conseiller du parlement de Grenoble, & ensuite dans celui du maréchal de l’Hôpital. Cette femme singuliere, deux fois veuve, soutenoit à Gourville qu’elle avoit épousé secrettement le roi Casimir. Elle étoit avec lui à Nevers lorsqu’il