Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’armes rentrantes, d’où l’on pourra chasser l’ennemi de vive force, par une attaque de quelque compagnie de grenadiers, supposé qu’il se soit obstiné à y demeurer malgré le feu des ricochets, des bombes, & des pierriers. L’ennemi les ayant totalement abandonnées, on y fera un logement on portion de cercle dans l’intérieur, ainsi qu’on l’a déjà dit précédemment ».

De l’attaque de vive force du chemin couvert. « Il y a une autre maniere de chasser l’ennemi du chemin couvert plus prompte, mais aussi beaucoup plus meurtriere, plus incertaine, & infiniment moins savante. Elle consiste à faire une attaque subite de tout le chemin couvert du front de l’attaque, à en chasser l’ennemi à force ouverte, & à s’y établir immédiatement après par un bon logement.

« Il se trouve des circonstances qui obligent de prendre quelquefois le parti d’attaquer aussi le chemin couvert : comme lorsque l’on ne peut pas établir des batteries à ricochets pour battre ses branches, de même que les faces des pieces de fortification du front de l’attaque ; ou qu’on présume que l’ennemi n’est pas en état de résister à une attaque de la sorte ; ou enfin qu’on croit ne devoir rien négliger pour s’emparer quelques jours plûtôt du chemin couvert : en ce cas on prend le parti de faire cette attaque. Voici en peu de mots comment on s’y conduit.

« Lorsqu’on a pris le parti d’attaquer le chemin couvert de vive force, on fait ensorte que la troisieme parallele avance ou empiete sur le glacis : plus elle sera avancée, & plus l’attaque se fera avantageusement. On fait des banquettes tout le long de cette parallele en forme de degrés jusqu’au haut de son parapet, afin que le soldat puisse passer aisément par-dessus, pour aller à l’attaque du chemin couvert.

« On fait un amas considérable de matériaux sur le revers de cette ligne, & dans la ligne même, comme d’outils, de gabions, de fascines, de sacs à terre, &c. afin que rien ne manque pour faire promptement le logement, après avoir chassé l’ennemi du chemin couvert. On commande un plus grand nombre de compagnies de grenadiers qu’à l’ordinaire, on les place le long de la troisieme parallele, sur quatre ou six de hauteur ; & les travailleurs sont derriere eux, sur les revers de cette parallele, munis de leurs outils, de gabions, fascines, &c. On a soin que tous les autres postes de la tranchée soient plus garnis de troupes qu’à l’ordinaire, afin de fournir du secours à la tête, s’il en est besoin, & qu’ils fassent feu sur les défenses de l’ennemi, qu’ils peuvent découvrir : les grenadiers sont aussi armés de haches pour rompre les palissades du chemin couvert.

« On donne ordre aux batteries de canon, de mortiers, & de pierriers, de se tenir en état de seconder l’attaque de tout leur feu ; on convient d’un signal pour que toutes les troupes qui doivent commencer l’attaque, s’ébranlent en même tems, & tombent toutes ensemble sur l’ennemi.

« Ce signal consiste en une certaine quantité de coups de canon, ou un certain nombre de bombes qu’on doit tirer de suite ; & l’on doit se mettre en mouvement au dernier coup, ou à la derniere bombe.

« Le signal étant donné, toutes les troupes de la troisieme parallele s’ébranlent en même tems, & elles passent brusquement par-dessus son parapet : elles vont à grands pas au chemin couvert, & elles entrent dedans ; soit par ses barrieres, soit par les ouvertures que les grenadiers y font en rompant les palissades à coups de hache. Lorsquelles y ont pénétré, elles chargent l’ennemi avec beaucoup

de vivacité ; dès qu’elles sont parvenues à lui en faire abandonner quelques-uns des angles, les ingénieurs y conduisent promptement les travailleurs, & y tracent un logement sur la partie supérieure du glacis, vis-à-vis de la partie du chemin couvert abandonné, & à trois toises de son côté intérieur. Ce logement, comme on l’a déjà dit, se fait, avec des gabions que les travailleurs posent sur le glacis, à côté les uns des autres. Les joints en sont couverts par des sacs à terre, ou par des fagots de sappe. On remplit aussi ces gabions de terre, on les couvre de fascines, & on jette sur le tout, la terre que l’on tire du glacis, en creusant & en élargissant le logement ; on s’en fait un parapet pour se mettre à couvert du feu direct de la place, le plus promptement qu’il est possible, & on se garantit de l’enfilade par des traverses.

« Pendant cette opération, toutes les batteries de la tranchée ne cessent de tirer aux défenses de la place, pour y tenir l’ennemi en inquiétude, & diminuer autant que l’on peut l’activité de son feu sur les travailleurs & sur le logement.

« Lorsque les troupes qui ont fait l’attaque, sont parvenues à chasser l’ennemi de son chemin couvert, ou de quelqu’une de ses places d’armes (car souvent on ne peut dans une premiere attaque y établir qu’un ou deux logemens aux angles saillans) elles se retirent derriere le logement, où elles restent le genou en terre, jusqu’à ce qu’il soit en état de les couvrir. Quelquefois l’ennemi que l’on croyoit avoir chassé du chemin couvert, revient à la charge, & il oblige de recommencer l’attaque & le logement qu’il culbute, en tombant inopinément dessus. Cette attaque se peut recommencer plusieurs fois, & être fort disputée, lorsque l’on a affaire à une forte garnison ; en ce cas il faut payer de bravoure, & se roidir contre les difficultés de l’ennemi.

« Lorsqu’il est prêt d’abandonner la partie, il faut mettre le feu à ses mines ; on s’établit aussi-tôt qu’elles ont joüé, dans les entonnoirs, comme nous l’avons déjà dit, en parlant de cette attaque par la sappé : enfin on s’oppose à toutes ses chicanes, autant que l’on peut, & si l’on est repoussé dans une premiere attaque, on s’arrange pour la recommencer le lendemain ou le sur-lendemain, & l’on tâche de prendre encore plus de précautions que la premiere fois pour réussir dans l’entreprise.

« Avant de commencer cette attaque, on canonne pendant plusieurs heures avec vivacité le chemin couvert, pour tâcher d’en rompre les palissades, & labourer la partie supérieure de son glacis, afin d’avoir plus de facilité à y pénétrer & à faire le logement. On laisse après cela, le tems nécessaire aux pieces pour qu’elles refroidissent, c’est-à-dire environ une heure, & l’on commence l’attaque comme nous l’avons dit, pendant laquelle l’artillerie agit continuellement.

Il faut convenir que cette sorte d’attaque est extrèmement meurtriere. Les assiégeans sont obligés d’aller pendant presque toute la largeur du glacis à découvert, exposés à tout le feu de la place. Ils sont obligés d’attaquer des gens cachés derriere des palissades, qu’il faut rompre à coups de hâches pour parvenir jusqu’à eux. Il faut combattre long-tems avec un desavantage évident ; & lorsqu’à force de valeur on a chassé l’ennemi, on se trouve exposé à tout le feu des remparts, qui est servi alors avec la plus grande vivacité. On est aussi exposé aux mines que l’ennemi fait sauter pour déranger le logement, mettre du desordre & de la confusion parmi les troupes ; ce qui leur donne la facilité de revenir sur elles, & de les harceler encore de nouveau. Il s’en faut beaucoup que la premiere mé-