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En vérité, cette postérité serait une ingrate si elle m’oubliait tout à fait, moi qui me suis tant souvenu d’elle.

Mon ami, prenez garde que je ne fais nul cas de la postérité pour les morts, mais que son éloge, légitimement présumé, garanti par le suffrage unanime des contemporains, est un plaisir actuel pour les vivants, un plaisir tout aussi réel pour vous que celui que vous savez vous être accordé par le contemporain qui n’est pas assis tout à côté de vous, mais qui parle de vous quoiqu’il ne soit pas entendu de vous.

L’éloge payé comptant, c’est celui qu’on entend tout contre, et c’est celui des contemporains. L’éloge présumé, c’est celui qu’on entend dans l’éloignement, et c’est celui de la postérité. Mon ami, pourquoi ne voulez-vous accepter que la moitié de ce qui vous est dû ?

Ce n’est ni moi, ni Pierre, ni Paul, ni Jean qui vous loue ; c’est le bon goût, et le bon goût est un être abstrait qui ne meurt point ; sa voix se fait entendre sans discontinuer, par des organes successifs qui se succèdent les uns aux autres. Cette voix immortelle se taira sans doute pour vous, quand vous ne serez plus ; mais c’est elle que vous entendez à présent, elle est immortelle malgré vous, elle s’en va et s’en ira disant toujours : Falconet ! Falconet !


II


Janvier 1766.


Je ne crains pas le compas de la raison[1], mais je crains sa partialité qui change de poids et de mesure selon les objets. Tu te repais d’opinions du matin jusqu’au soir, et puis après tu te mets à faire la petite bouche. Eh ! mon ami, le tissu de nos maux et de nos peines est ourdi de chimères où l’on n’aperçoit de loin en loin que quelques fils réels. La comparaison du concert n’est pas seulement agréable, elle est juste. Quel concert plus réel que celui que j’entends et dont je suis en état de

  1. Les passages soulignes sont extraits des lettres de Falconet.