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tiques[1]. Voilà ce que j’ai fait hier en attendant impatiemment de vos nouvelles ; j’ai lu en même temps un peu d’histoire. Je ne suis plus surpris de l’impression que l’histoire fait sur le Baron ; elle a produit le même effet sur moi. Il n’y a pas un homme de bien sur mille scélérats, et l’homme de bien est presque toujours victime. Vous exterminez, en lisant Clarisse ; moi j’exterminais de mon côté, en lisant les guerres civiles de Naples, sous Henri de Lorraine, duc de Guise. Il n’y avait guère de jour que cet homme vertueux ne fît couper la tête, et pendre par le pied. J’étais bien plus sévère que lui ; combien de têtes et de pieds qu’il épargnait et que je faisais sauter et percer ! En vérité, je crois que le fruit de l’histoire bien lue est d’inspirer la haine, le mépris et la méfiance avec la cruauté.

Voici la suite de l’histoire de Mlle Hus, puisque vous me la demandez. Elle donnait des fêtes à son amant ; Brizard en était toujours ; un certain mauvais comédien appelé Dauberval avait tenté inutilement d’en être ; il était à Passy lors de l’aventure en question. On l’ignorait encore à Paris, lorsqu’il y revint ; la première chose qu’il fait, c’est d’aller chez Brizard et de lui dire : « Camarade, vous ne savez pas ? Mlle Hus vient de donner une fête charmante à M. Bertin ; tous les amis secrets en étaient : pourquoi pas vous ? Est-ce que vous êtes brouillés ? » À ce propos il ajoute tous ceux qui pouvaient engager Brizard à se plaindre à Mlle Hus. Ce qui arriva. Le lendemain, Brizard s’habille ; il va chez Mlle Hus. Après quelques propos vagues : « Comment vous portez-vous ? Quand retournez-vous à Passy ? » etc. « Mais vous ne parlez pas d’une fête charmante que vous avez donnée hier à M. Bertin ; il n’est bruit que de cela. » À ces mots, Mlle Hus s’imagine que Brizard la persifle ; elle se lève et lui applique deux soufflets. Brizard, fort étonné, lui saisit les mains ; elle crie qu’il est un insolent qui vient l’insulter chez elle. On s’explique et il se trouve que c’est Dauberval qui est un mauvais plaisant, et Mlle Hus une impertinente qui a la main leste.

Je travaille toujours ; ce sont des figures que j’explique. Les libraires ont rougi de leur dureté ; je crois qu’ils m’accorderont pourtant par volume de planches le même honoraire mesquin qu’ils me font par volume de discours ; si je ne m’enrichis pas,

  1. Voir ces deux morceaux, t. IX, p. 192 et 207.