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vite… Vous êtes à la fleur de votre âge ; le temps n’a point encore fané les roses de votre teint ; l’aisance et la tranquillité leur rendront bientôt ce que le chagrin leur a ôté d’éclat. Vous avez des avantages précieux, si vous en savez user. Tous les hommes n’ont pas l’injustice et la cruauté de votre époux. Fuyez-le, et vous trouverez des bras tout prêts à vous recevoir, à vous protéger et à vous venger.

MADAME BEVERLEY.

Et où sont-ils ? Et ces hommes qui n’ont ni l’injustice ni la cruauté de mon époux, pouvez-vous m’en nommer un ?

STUKELY.

Sans doute, madame ; moi, l’ami des infortunés ; moi qui peux, sans être arrêté par la fureur qui s’élève sur votre visage et qui éclate dans vos yeux, vous avouer que je vous aime de l’amour le plus violent.

MADAME BEVERLEY.

Ah ! que le ciel n’a-t-il mis dans ces yeux la foudre à côté de l’éclair que tu y vois ; tu ne serais plus. Eh bien ! suis-je assez avilie ! Au premier instant de la misère et de la pauvreté, j’aurai donc connu toute l’humiliation qui lui est réservée !… On ose avoir des désirs, hasarder des offres, espérer l’échange de mon âme pour du pain… Trahie ! infâme ! je t’ai vu ; enfin, je t’ai vu. Sors, et emporte avec toi ces remercîments sur les lumières que je te dois ; je t’ai vu.

STUKELY.

Avec un peu plus de prudence, vous m’auriez une obligation plus réelle.

MADAME BEVERLEY.

C’est de mon époux que tu recevras la récompense que tu mérites.

STUKELY.

Arrête, femme orgueilleuse… sache que j’ai une âme aussi, et plus inflexible encore que la tienne, et plus impérieuse. Si je sais aimer, tu connaîtras que je sais haïr.

MADAME BEVERLEY.

Pauvre, misérable vilain ! je te méprise, toi et tes menaces ; et Beverley ne m’a-t-il trompée que pour que sa trop crédule